Hydrequent

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Paul RICHELY et André NEVE

Les péripéties du site d'HYDREQUENT-RINXENT

Le site d'Hydrequent (A vol d'oiseau, la Carrière de la Vallée Heureuse à Hydrequent se trouve à 4 Km à l'est de la petite ville de Marquise (Pas-de-Calais)) a été rapidement évoqué dans un précédent article (Bulletin du C.L.H.A.M., juillet-septembre 1991. p. 17 2). Initialement, les Allemands y construisent un Dom Bunker abritant un canon sur rail à longue portée (Notamment un K5, canon d'un calibre de 280 mm et d'une portée atteignant 62,4 Km qui lui permet de balayer la côte anglaise 3). Cet ouvrage, raccordé à la ligne de chemin de fer Calais-Boulogne, toute proche, assure au canon protection et grande mobilité.

On observe à proximité et parallèlement au Dom Bunker un local en béton, sans doute la remise à locomotive. Le site est sûrement équipé d'au moins une plaque tournante permettant au canon un tir tous azimuts. Il est vraisemblable qu'à une certaine période deux canons ont été présents dans la carrière (Des témoins prétendent avoir aperçu pendant la guerre deux canons de calibres différents. Outre le K5, il pourrait s'agir d'un K12 dont le calibre était de 210 mm avec une portée maximum de 115 Km. Le K12 était un canon haubané dont les Allemands n'ont guère fait usage. L'usure rapide de son tube a sans doute contribué, entre autres, au retrait de cette arme à allure très réussie. Par ailleurs, selon certains auteurs (D. Corlouer, Magazine Le Mur, n° 11, Août 1991), le site était occupé par deux canons K54).

Ceci explique peut-être le creusement dans la falaise rocheuse, à l'est du Dom Bunker, d'un tunnel long de plus de 100 mètres pourvu d'une voie de chemin de fer à écartement normal. L'entrée de ce tunnel à gabarit rectangulaire est bétonnée sur une courte distance. L'angle intérieur gauche du plafond est encore garni du support de gond de la porte blindée à un seul panneau. L'absence de support du côté droit atteste bien la conception de la porte à battant unique.

En dehors de sa nature, la carrière d'Hydrequent ne se distingue guère des autres sites où stationnèrent des canons sur rails. Les Alliés n'ont apparemment procédé à aucun bombardement significatif. Situation rassurante pour les Allemands : l'installation n'inquiète pas.

UNE EXTENSION DISCRETE

La destination du site évolue à la fin de 1943.

A ce moment, les Allemands comptent beaucoup sur les V2 pour bombarder la Grande-Bretagne : la mise au point de ces engins pose pourtant de difficiles problèmes techniques.

Malgré ces incertitudes, la construction d'un premier site de lancement fixe, dans le  Pas-de-Calais, est décidée au début du printemps 1943 (Eperlecques) (Eperlecques est situé également dans le Pas-de-Calais, à proximité de Watten).

Parallèlement, un tel ouvrage est assorti d'installations de production et de stockage d'oxygène liquide dont les fusées V2 sont de voraces consommateurs.

Les sites de stockage ne font pas obligatoirement partie du centre de production. Ils servent de réserve, pour faire face aux grands besoins prévisibles des futurs missiles.

La falaise en roches compactes (marbre) d'Hydrequent-Rinxent, haute de 30 mètres, se prête bien au rôle de stockage de l'oxygène liquide. D'autant mieux que plusieurs tunnels existent déjà : stockage de munitions, refuge pour un canon sur rail dans le tunnel à entrée bétonnée (tunnel n° 1).

Le creusement de locaux dans ce dernier, la liaison avec le tunnel n° 2 sont opérés avec une discrétion qui n'attire guère l'attention de l'aviation anglo-américaine. L'ensemble souterrain ainsi réalisé, complètement isolé des autres tunnels de la falaise, donne à la carrière de la Vallée Heureuse une nouvelle fonction bien différente de sa destination antérieure.

Ceci amène les Allemands à codifier, comme ils en ont l'habitude, l'installation de Rinxent : "Bauvorhaben 1353" (Bauvorhaben = projet).

Stocker de l'oxygène liquide exige une infrastructure complexe. Matière éminemment volatile (point d'ébullition : 182,7 °C sous zéro), elle se vaporise rapidement après sa production. Avec une rapidité d'autant plus élevée que les isolants de l'époque réduisent médiocrement le taux d'évaporation.

L'oxygène qui s'échappe des tanks de stockage doit nécessairement être capté et reliquéfié en permanence.

Pareille petite usine comprend une unité de reliquéfaction (compresseur) avec moteur diesel, une centrale électrique appropriée, des tanks de stockage, des magasins de pièces de rechange. L'exécution des locaux, la mise en place du matériel demandent quelques mois.

Ce projet a-t-il été mené à bonne fin ? L'hypothèse d'une réalisation ou d'une quasi-réalisation ne paraît pas invraisemblable.

Lors de notre deuxième visite à Hydrequent, nous nous sommes finalement retrouvés sans guide au milieu de la carrière. Alors que notre voiture se dirigeait en cahotant vers le tunnel à entrée bétonnée, une camionnette de service nous a quasiment pris à l'abordage, son conducteur réclamant notre autorisation d'accès.

Comme tout était en règle, le conducteur - devant notre intérêt pour le site - nous a offert une visite des tunnels 1 et 2. L'aubaine !

Le sot du tunnel n° 2 rongé par des ornières et des "nids de poules" est d'un abord difficile d'autant plus pénible que tous ces trous sont remplis d'eau. La visite en camionnette sous la conduite d'un habitué offre tous les avantages avec, en outre, un confort relatif et surtout l'éclairage puissant des phares, complété par les faisceaux "chercheurs" de nos projecteurs.

Soudain, un mur obstrue la galerie. Il barre l'accès d'un puits où des enfants se sont noyés, il y a plusieurs années. Il faut bifurquer à angle droit et revenir vers la galerie n° 1. Les locaux creusés dans les parois témoignent d'une activité industrielle : bâtis en béton, portique métallique, appareillage électrique.

Le tunnel à entrée bétonnée est particulièrement riche en locaux adjacents. Le premier à gauche à partir de l'extérieur contient de nombreux équipements électriques de marque AEG, datant manifestement de la deuxième guerre mondiale. Certaines pièces feraient certainement la joie de plus d'un responsable de musée.

Dans le troisième local - le plus vaste - toujours du côté gauche, on distingue diverses fondations pouvant servir ou ayant servi de base à des moteurs et compresseurs. La largeur de cette pièce atteint une dizaine de mètres et la longueur bien davantage. De toute évidence, l'ensemble de ce petit complexe n'était pas achevé mais pouvait, en cas d'urgence, devenir rapidement opérationnel.

CROQUIS GENERAL D'HYDREQUENT-RINXENT

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A droite, le dépôt d'oxygène liquide (Tunnels 1 et 2)

La situation militaire sur le front de l'ouest amène bien des perturbations dans les projets allemands. Les bombardements intensifs des sites de lancement de V2 et de production d'oxygène liquide rendent ceux-ci inutilisables. Du même coup, les dépôts d'oxygène liquide perdent toute justification (Pour les détails sur l'évolution des ouvrages spéciaux, le lecteur consultera : "Constructions spéciales" par Roland Hautefeuille, 311 pages, Paris, 1985 (Le seul livre bien documenté sur le sujet)).

Vers la mi-juillet 1944, Hitler ordonne l'abandon de l'ouvrage de Rinxent, la destruction ou l'enlèvement de son matériel. La complexité de l'organisation allemande rend cependant fort laborieuse toute prise de décision. L'ouvrage de Mimoyecques, par exempte, a été tellement bombardé qu'il serait malaisé d'envisager l'utilisation de ses canons, d'ailleurs non encore installés en juillet. Finalement, les restes de Mimoyecques, et plus spécialement le tunnel souterrain de chemin de fer, accueilleront en principe deux nouvelles armes dont la fusée à poudre Sol-Sol "Rheinbote".

UNE ORIENTATION INATTENDUE

L'OKW (OKW : Oberkommando der Wehrmacht = Commmandement suprême de la Wehrmacht) - c'est-à-dire Hitler - refuse de renoncer au canon HDP (Les canons de Mimoyecques ont porté diverses dénominations et notamment Hochdruckpumpe (HDP) = Pompe à haute pression) prévu initialement à Mimoyecques; celui-ci sera transféré sur le site de Rinxent qui, du même coup, retrouve une nouvelle fonction au moment même de son abandon.

Le choix de Rinxent repose sur diverses considérations : absence de tout bombardement du site qui apparemment n'a pas inquiété les Alliés, existence de tunnels qui permettent le travail à l'intérieur d'où sécurité quasi assurée, nature du terrain (marbre), situation géographique.

Particularité du nouvel ouvrage : il ne comportera qu'un seul puits incliné. Les travaux démarrent fin juillet-début août par le creusement d'un puits vertical d'extraction à l'intérieur d'un tunnel. Il s'agit précisément du puits situé dans le tunnel n° 2 dont nous avons aperçu la partie murée lors de notre circuit souterrain en voiture. A partir du fond de ce puits vertical, le creusement du puits incliné atteindra très discrètement la surface. L'absence de datte en béton, grâce à la qualité de la roche, associée à un excellent camouflage, réduiront considérablement les risques de repérage aérien.

Qu'en a-t-il été en pratique ?

Réalité plus que vraisemblable : le fonçage d'un puits vertical d'extraction. D'autant plus vraisemblable que des "anciens" de la carrière auraient affirmé, autrefois, avoir aperçu après la guerre une machine d'extraction à proximité du puits. Ce dernier était-il achevé ?

Nous n'avons pu effectuer de sondage. Le murage du puits interdit l'accès et les conditions de notre visite n'ont pas permis de rechercher la possibilité d'autres voies. Quant au puits incliné, il n'en existe aucune trace, à notre connaissance.

Tout porte à croire que le projet allemand était loin du but lors de l'arrivée des troupes canadiennes le 5 septembre 1944. Entre le démarrage de la construction (début août) et le 5 septembre 1944, le délai était vraiment fort étroit pour achever un projet non négligeable, même si les constructeurs possèdent une réputation de grande efficacité. Enfin, last but not least, le canon n'était toujours pas au point à cette date ! (Des essais poursuivis notamment dans une île de la Baltique (Misdroy) près de Peenemünde, ont conduit à la fabrication d'une version réduite du canon HDP (longueur du tube : environ 50 m) à la fin de 1944. Il a été expérimenté contre Luxembourg et Anvers en décembre 1944. La portée (60 Km) et le poids des obus (90 kg avec une charge explosive de 7 à 9 kg) n'entraînaient pas d'avantages décisifs par rapport aux canons classiques.(*)

(*) Note de la rédaction

Voir dans le présent bulletin et dans le précédent l'article de Willy O.H. FRESON : "La Pompe à haute pression - Arme secrète allemande V3").

AUJOURD'HUI

Aujourd'hui, le tunnel à entrée bétonnée a disparu (depuis peu de temps d'ailleurs), en raison de la création d'une nouvelle voie d'accès à la carrière. Cela signifie, sans doute, que les locaux adjacents à ce tunnel n'existent plus. Le matériel historique qu'ils contenaient risque d'avoir été dispersé sans précaution.

On souhaiterait, sans trop y croire, qu'un relevé photographique systématique accompagné d'un plan détaillé des locaux ait été opéré avant la destruction.

Peut-on espérer que le matériel ait fait l'objet d'un inventaire et d'un classement pour permettre sa reprise éventuelle par les institutions chargées de diffuser la connaissance historique de la région ?

Une ultime recherche de ces témoins du passé, avec la nécessaire collaboration des propriétaires du site, se justifie pleinement.

 DOM BUNKER.

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La glissière de suspension des portes d'origine est encore en place. Les portes actuelles ont probablement été placées après la guerre et ne modifient guère l'aspect général de la construction. (cliché P. Richely)

REMISE A LOCOMOTIVE

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Local - vraisemblablement la remise à locomotive - à proximité du Dom Bunker. L'épaisseur des murs ne dépasse pas quelques dizaines de centimètres. On distingue très bien les discontinuités de la coulée du béton. (cliché A. Nève)

INTERIEUR DU TUNNEL N° 1

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Le sas d'entrée du tunnel n° 1 est suivi d'un couloir bétonné de quelques mètres.

Ensuite la roche est à nu sur une centaine de mètres. Divers locaux bordent ce tunnel, notamment du coté gauche : chambre d'appareillages électriques, salle des machines, etc. Au fond, à droite, une galerie permet de rejoindre le tunnel n° 2 à proximité du puits vertical. (cliché A. Nève)

ENTREE BETONNEE DU TUNNEL N° 1

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L'entrée bétonnée du tunnel à canon est garnie de la glissière de porte typique des dom Bunker. Une demi-porte d'origine en bois est visible du coté gauche. La porte ferme un sas long de plusieurs mètres et de gabarit rectangulaire. Le fond de ce sas était obturé par une épaisse porte blindée, aujourd'hui disparue, (cliché P. Richely)

GOND DE PORTE BLINDEE (tunnel n°1)

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Au fond du sas, à la partie supérieure gauche, on aperçoit le caisson supportant le gond de la porte blindée. Le diamètre du gond scié lors de l'enlèvement de la porte atteignait sûrement une quinzaine ,de centimètres. La battée de la porte est bien visible. Elle réduit un peu les dimensions du tunnel tant en hauteur qu'en largeur. (cliché P. Richely)

TUNNEL N° 2.

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Presque parallèle au tunnel n° 1 et situé à sa droite, il s'enfonce d'une centaine de mètres dans la falaise. D'un gabarit inférieur au n° 1 et non bétonné, il se termine par un mur bloquant l'accès au puits d'extraction. (cliché A. Nève)

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Dernière mise à jour: 31 mai 2012