LES PARACHUTAGESColonel Hre Léon VERBOISLa plupart des récits de guerre et de résistance foisonnent de surprenants hasards heureux ou malheureux. Léon VERBOIS, sous-lieutenant-élève à l'Ecole Royale Militaire en 1940, a vécu des heures exaltantes dans la Résistance et le Maquis, alors que la plupart de ses camarades de promotion étaient soit "prisonniers de guerre", soit "officiers volontaires" en Grande Bretagne. Il lui a été demandé une évocation de cette période, qu'il a vécue intensément, du maquis et des parachutages. Ce modeste récit sera limité aux parachutages. Résistants de la première heure, la "Légion Belge" (devenue par la suite "Armée Secrète") nous demanda de recruter des fidèles, de préférence taiseux et non buveurs. Il fallait les armer. La solution des parachutages a été la seule préconisée pour mener à bien l'équipement en armes et en matériel des maquis qui se formaient. Dès 1942, l'ordre fut transmis de rechercher des refuges éventuels pour la mobilisation ainsi que des plaines de parachutage. Des endroits propices, situés à la lisière des forêts et suffisamment éloignés des agglomérations, furent repérés; leurs coordonnées relevées avec précision sur des cartes militaires furent transmises à Londres. Un souvenir m'est resté particulièrement agréable : j'ai pu transmettre plan, coordonnées et même photos prises d'avion d'une plaine à SOMME-LEUUZE (BONSIN), ce qui nous a valu rapidement des félicitations. Les plaines ont été baptisées d'une lettre de l'alphabet ou d'un nom d'animal, de fleur, d'oiseau, de soldat. Dans la région de Gedinne, la plaine de refuge de BOURSEIGNE-NEUVE s'appellera "BUFFLE" (134.300 x 77.000) et la plaine de parachutage de RIENNE s'appellera "GRENADIER" (187.600 x 75.500) Dans le maquis de GEDINNE, 350 maquisards étaient rassemblés en 1944, sous les ordres du lieutenant de réserve Louis BARTHELEMY (ancien du 13e Régiment de Ligne). Ils formaient le Groupe C du Secteur 5 de la Zone 5 de l'A.S. (Armée Secrète). Cet important groupe de résistants était réparti en plusieurs cantonnements en plein bois : E.M. - Liaison - Sabotage – Prévôté - la compagnie de GEDINNE sous les ordres de M. VINCENT - la compagnie de BEAURAING sous les ordres du lieutenant de réserve J. QUESTIAUX, également ancien du 13e Régiment de Ligne. Le sous-lieutenant VERBOIS avait été chargé, sans se laisser distraire de cette mission, de la Section Matériel. Sa mission : les parachutages (préparation - organisation - mise en place - réception), le camouflage des armes et explosifs, ultérieurement le décamouflage, le déprocessing, la distribution et l'initiation à l'utilisation. En effet, beaucoup de maquisards n'avaient jamais vu d'armes ou d'explosifs et la documentation jointe était le plus souvent rédigée en anglais. Après une longue attente, pendant des mois et des mois, le premier parachutage sur la plaine "BUFFLE" nous procura entre autres, le 3 mars 1944, des postes récepteurs à piles sèches, qui nous permirent d'écouter aisément les messages de la BBC, et cela, en plein bois. Le 11 avril 1944, lors d'un second parachutage, sur la plaine "GRENADIER" cette fois, nous eûmes une surprise agréable en découvrant dans les colis expédiés un "S"phone, nous permettant de communiquer avec l'opérateur d'un avion et, comble du raffinement, un vélo nous permettant de recharger éventuellement ses batteries, ainsi qu'une instruction nous décrivant la procédure d'utilisation. Bien entendu, dans les jours suivants, on étudia sérieusement cette procédure. Chaque soir, à 19.15 h, nous attendions avec impatience que la BBC nous transmette un message commençant par la lettre "G". C'est ainsi que passa sur les ondes "Le Géranium est à la base de tous les parfums". C'était le soir du lundi 5 juin. Tout 1e monde doit se tenir prêt à réceptionner pendant la nuit. Dans le plus grand secret, l'équipe réceptionnaire, aussitôt prévenue, à l'endroit indiqué. Un autre groupe surveille et défend les abords. Trois jalonneurs, porteurs de lampes torches donnant une lumière rouge (plus tard, des phares d'auto reliés à une batterie) se placent à 100 mètres de distance (B, C, D du croquis) sur un alignement parallèle à la direction du vent, tandis que je me place, en tant que chef de plaine, porteur d'une lampe à lumière blanche, en A, perpendiculairement à la ligne des jalonneurs, à environ 50 mètres.
Il est 23 h et j ai le temps de relire ce qui devrait être la procédure normale : - L'opérateur de l'avion appelle : "Hello TONY" (c'est le mot de passe convenu). - Je fais allumer les feux de balisage et j'envoie la lettre "G" de reconnaissance (en morse), à l'aide du feu blanc et je donne la réponse convenue : "Hello JACK, TONY answering, can you hear me ?" - Et, quand tout va bien : "Hello JACK, can you see my lights ?" - ... et puis tout un tas de recommandations pour les "imprévus ... Je jette un dernier coup d'oeil au "S"phone. Cet appareil émetteur-récepteur comporte un casque muni d'écouteurs et d'un micro, une petite antenne et une série de petits accumulateurs qui se portent à la ceinture. L'attente est longue ... Combien nous la vivons dans l'impatience ... Et subitement, le 6 juin à 02.30 h, nous percevons le ronronnement d'un avion. Il tourne autour de notre plaine ... Il nous semble reconnaître un britannique ... Les lampes s'allument ... L'aviateur ne me répond pas ... mais quelques instants plus tard, l'avion suit l'alignement de nos lampes ... Entre B et C, à une altitude de 300 mètres, il lâche sa cargaison, qui s'éparpille entre C et D. Les corolles peuvent alors s'ouvrir les unes après les autres dans le ciel encore obscur (les parachutages se font souvent pendant les nuits de pleine lune). Quel magnifique spectacle dans le ciel de cette vaillante Ardenne ... ! L'avion a ordre de quitter le terrain aussitôt l'opération terminée, car le risque de détection (par gonio) est grand pour l'avion en vol. Nous ne devons donc pas le pousser à parler trop longtemps, malgré le faible risque pour nous de repérage au sol. A-t-il tancé : "Opération compteted" ? Nous n'en savons rien, car aussitôt le largage terminé, c'est la ruée de l'équipe pour récupérer les colis et les containers, détacher les parachutes, les rouler et les camoufler. Quand le soleil se lèvera, tout sera remis en ordre ... Les villageois, parfois trop bavards, auront entendu un avion volant bas et se seront doutés qu'il se passait un petit événement. Les Allemands eux aussi ont eu vent de quelque chose et, le lendemain matin, enverront un avion de reconnaissance, mais ils ne découvriront pas notre repaire. La nuit suivante, les parachutes sont acheminés jusqu'à l'église de Rienne où ils sont entreposés dans la partie inaccessible du canal à air chaud de la chaufferie. (Merci, Monsieur l'abbé ARNOULD). Les containers seront enterrés dans une sapinière et, comme ce sera le cas pour les opérations suivantes, de jeunes arbustes reprendront goût à la vie sur la terre recouvrant les fûts. Le plus rapidement possible, armes, munitions, explosifs seront dénombrés et l'inventaire sera transmis à Londres, par la voie hiérarchique. Ce jour-là, la BBC annonçait le débarquement en Normandie. Les fûts métalliques pèsent entre 150 et 175 Kg; ils ont un diamètre de 38 cm et une longueur de 1,40 m (voir photo). Ils sont munis de poignées pour faciliter le transport à l'endroit désigné. Ils sont d'une seule pièce (type C) ou composés de cinq éléments assemblés (L. 28 cm – type H). Voici, à titre documentaire, le contenu d'un fût "H3" et d'un fût "C1" Container "H3" : Cellule A : 31,5 Kg
Cellule B : 29 Kg
- Cellule C : 24 Kg - Idem A mais deux Stens - Cellule D : 22,5 kg
- Cellule E : 18,5 Kg
Container C1 : 136,5 Kg
Panier Un panier peut contenir, par exemple : - 2 bombes PIAT - 1 tente + 80 litres d'essence - Chocolat, cigarettes, rations. La plupart de ces engins nous étaient parfaitement inconnus. A défaut d'instructeurs, l'expéditeur procurait une documentation, souvent imprimée en anglais, qui donnait la composition des containers de type standard et le mode d'emploi succinct des articles que l'on pouvait y découvrir. Pour l'arme collective principale dont nous disposions, le "BREN gun", la brochure y relative était plus détaillée. Les armes seront décamouflées et dégraissées pour être remises aux maquisards des deux compagnies mobilisées les 11 et 13 juin. 350 hommes seront largement pourvus. Un grand merci à toute l'équipe "Matériel" qui m'a tant aidé. Les saboteurs utiliseront efficacement les explosifs. 300 kg d'explosifs et 19 Stens seront d'ailleurs livrées au Commandant de Secteur. Le 7 septembre 1944, Brens, carabines américaines, Stens et des munitions seront livrés aux héroïques maquisards d'Anvers. En octobre 1944, les armes seront évacuées via le Commandant de Secteur. Le 2 août, j'attendrai un parachutage mais l'avion ne viendra pas. D'autres parachutages suivront et notre plus beau souvenir sera, certes, celui du parachutage du capitaine BLUNT, l'actuel colonel BLONDEEL, et de 7 S.A.S. (Spécial Air Service), le 29 août à 02.25 h, et leur première nuit dans le petit village de Rienne. Le grand capitaine tombe vraiment à mes pieds, se débarrasse de son parachute et est prêt au combat. Je le rassure en lui disant qu'il est entouré de 350 maquisards. Et mes hommes le conduisent dans la hutte qu'ils m'ont fabriquée (cloisons en sapin et toit en carton bitumé). Après avoir dégusté une tasse de café bien chaud, le capitaine s'étend sur mon petit lit de fer, et je le retrouve, dormant du sommeil du juste, ses grandes jambes passant à travers les barreaux. Le matériel reçu avait été rangé entre-temps (3 containers pour les S.A.S. et cinq pour nous, ainsi qu'un veto). Il était frappé par l'efficacité déployée par l'organisation. Le lendemain, nous le conduirons au P.C. du commandant BARTHELEMY. J'apprendrai plus tard qu'il y fut accueilli ... au Bourgogne, avant de continuer à remplir sa mission de harcèlement. Le 1er septembre, nous recevons le capitaine DEBEFVE et 15 S.A.S., ainsi que 19 containers et 3 paniers. Un homme, accroché dans un sapin, est blessé. Mais, de cette date, nous gardons un souvenir amer, car, ce jour-là, la sous-section 2 commandée par le sous-lieutenant de réserve R. HUSTIN, des Chasseurs Ardennais, est encerclée dans les bois de Graide, et ... 17 jeunes gens y seront massacrés. Nous honorons leur mémoire chaque premier dimanche de septembre au pied du monument de Graide. Notre plus beau spectacle eut lieu dans la nuit du 5 au 6 septembre 1944. Je ne me souviens plus du message : "Gordits est un laboureur qui devient roi", ou bien "Le grenadier est un soldat, il recevra 2 x 12 fusils". Toujours est-il que nos 350 hommes gardent la plaine de Bourseigne-Neuve. A minuit, un premier avion "Stirling" nous largue 4 hommes, dont 1Lt-médecin LIMBOSCH et 1er "padre" JOURDAIN, ainsi que 22 containers et 3 paniers, dont malheureusement quelques-uns s'écraseront au sol. Mais notre ébahissement n'est pas terminé : à 02.30 h, deux avions tournoient et on ne sait plus où récolter ... 2 jeeps, 12 containers, 4 paniers et 4 hommes dont deux chauffeurs. Incroyable ... ! A nos yeux éberlués, les dispositifs amortisseurs des jeeps, pesant 300 kg environ, sont démontés, les mitrailleuses parachutées par containers sont récupérées et montées sur jeeps et les moteurs tournent ... Cela a duré 15 minutes ... et les S.A.S. voguent vers de nouvelles reconnaissances. Quelle apothéose ...! Quel boulot ...! Mais quel immense plaisir et quel merveilleux souvenir ...! Merci à tous mes camarades maquisards ...! Le 6 septembre 1944, les troupes américaines entrent à Rienne. C'est la délivrance et la joie ...! Merci à Sa Majesté Britannique, qui, le 24 décembre 1947, a bien voulu me décerner la "King's Medal for courage in the cause of Freedom". Retour en haut - Retour à la page des sommaires - Retour au plan du site |
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