G. SCHALICH : LE "MEMOIRE LIEGE"Je tiens à exprimer ma gratitude à Monsieur W. Fréson (membre du CLHAM), qui a eu l'amabilité de me traduire le texte allemand. G. Schalich "Ces dernières années, sous l'influence clairvoyante du Roi, l'Armée Belge a fait des progrès considérables. Elle ne semble pas capable de conduire un combat offensif, mais, en ce qui concerne la défense de la Patrie, elle ne doit pas être sous-estimée". (Mémoire Belgique, du 01 Jun 1939) Introduction "En fait, l'Armée Belge ne fut pas sous-estimée. Jusqu'au 10 Mai 40, lorsque les Allemands envahirent les Etats de l'Ouest européen, l'action des services de renseignements, contre la Belgique, fut très active, car, celle-ci, comme en 1914, jouait un rôle décisif, dans les plans allemands. Plusieurs mémoires, rédigés au moyen d'abondants rapports particuliers, facilitèrent l'estimation de l'ennemi. Il ne s'agît pas, ici, d'essayer de donner une vue globale des activités des Services de renseignements allemands, en Belgique, ni de lever le voile, sur les actions de renseignements des différentes divisions déployées, le long de la frontière germano-belge, ou de celles de la Gestapo et d'associations nazies illégales, des Cantons rédimés; ces thèmes, très intéressants, ne peuvent être, ici, qu'effleurés. Tout ceci pourra, peut-être, être éclairci dans un prochain article. Nous ne voulons, principalement, ici, que nous borner au "Mémoire Liège", qui fut édité par l'Abteilung "Fremde Heere West" (Section "Armées étrangères occidentales"). Cette section est comparable au "2ème Bureau" français et à l'"Intelligence Service" britannique. L'Abteilung Fremde Heere West L'Abteilung Fremde Heere West (FHW) a pour origine la "2ème Section", qui, après la première guerre mondiale, suite au traité de Versailles, fut, tout comme l'ensemble de l'Armée allemande, réduite à son minimum. Lors du réarmement accéléré, promulgué par Hitler, cette "2ème Section" fut très fortement agrandie et divisée en deux sections, une de celles-ci, devant s'occuper des armées étrangères de l'Ouest, fut baptisée "Abteilung Fremde Heere West", l'autre, ayant comme mission de se renseigner sur les armées de l'Est, prit le nom de "Abteilung Fremde Heere Ost (FHO). Les activités de renseignements de la section FHW, qui, de 1937 à 1943, était commandée par le Colonel LISS, se déroulaient, donc, surtout en France, en Grande Bretagne, en Belgique, etc... mais aussi en Italie amie et en Suisse neutre. En Belgique, si on doit en croire le Colonel LISS, qui, après la guerre a heureusement publié ses souvenirs, Liège et ses environs étaient d'un intérêt particulier. L'origine du "Mémoire Liège" L'EMG allemand avait, déjà en 1912, rédigé un mémoire sur Liège et préparé un coup de main, pour s'emparer, dans les temps les plus courts, de la ville et de ses forts. Le responsable du mémoire et du coup de main n'était autre que le Général Ludendorff, qui, en 1914, ne prit part que fortuitement aux combats pour la prise de Liège et qui, plus tard, devait devenir avec Hindenburg Commandant en Chef des armées allemandes. Comment ce "Mémoire Liège" de 1940, qui nous occupe, a-t-il pu voir le jour? En grande partie, cela n'exigea qu'un travail, très peu romantique et encore moins dramatique, qui n'avait rien de commun, avec ce qu'on peut lire dans un roman d'espionnage. Pour commencer, il a suffi de reprendre le mémoire de 1912 et de le remettre à jour. Puis, on procéda à l'exploitation de tous les journaux possibles et de la presse militaire spécialisée; de ce travail, comme dit le Colonel LISS, un spécialiste habile peut déjà tirer bien des renseignements. Pensons ici aux constructions militaires, aux déplacements de troupes, aux descriptions de nouvelles armes, etc. qui, avec une bonne connaissance de la situation actuelle des pays, permettent de tirer des conclusions étonnantes. D'autres renseignements furent glanés en déambulant sur le terrain, qui, presque toujours, était couvert par des routes et des chemins. Cette façon d'agir permit de découvrir facilement, entre autres, des abris de tir ou des positions d'infanterie, et on put souvent les expertiser sans se faire remarquer, car la Belgique n'avait malheureusement pas pris beaucoup de mesures de sécurité pour la protection de ses positions. Tous les renseignements obtenus étaient alors comparés avec des photos aériennes, les avions survolant, de même, le plus souvent, le terrain, sans être inquiétés; comparés aussi aux conversations anodines avec des civils, obtenus aussi par les Services de renseignements des Divisions frontières, voir même avec des cartes-vues (ex. du Canal Albert et de ses ponts). Tout ce qui vient d'être décrit, n'était que travail de routine et aurait pu être effectué par n'importe quel service normal de renseignements européen. On pouvait aussi progresser dans ce travail en employant d'autres moyens, entre autres des déserteurs d'armées étrangères, de véritables traîtres et des espions (V-Manner = Hommes de confiance) et, finalement, le hasard fait souvent bien des choses. Nous verrons que tous ces moyens se rencontraient à Liège, mais nous verrons aussi, que l'opinion, de nos jours encore souvent émise, selon laquelle Liège et surtout le Fort d'Eben-Emael ne sont tombés en 1940 que grâce à un grand nombre d'espions, ne reflète pas la réalité. Le "Mémoire Liège" (Denkschrift Lüttich) du 15 Jan 1940 fut édité en 500 exemplaires, qui furent distribués entre autres à l'Adjudant de la Wehrmacht auprès du "Führer", à l'Attaché militaire allemand à Bruxelles et aux 4ème et 6ème Armées. Quelques unités de ces deux armées devaient effectivement opérer, dès le 10 Mai 1940, dans l'espace liégeois et se trouvaient déjà déployées en partie, sur la frontière. L'attaque, déjà prévue depuis longtemps, dû pourtant être retardée. Occupons-nous, maintenant, du Denkschrift Lüttich, de ses annexes et suppléments. I. Le "Denkschrift Lüttich" du 15 Jan 1940 Le mémoire, qui, sans ses annexes, se compose de 40 pages, commence par un résumé historique sur la Position Fortifiée de Liège (PFL), puis passe à la situation du moment. Il constate dès le début "le remarquable... et profond enchaînement du périmètre défensif de la position fortifiée du front Est." Les cinq zones suivantes avaient bien été relevées: 1. la ligne avancée 2. la ligne des grands ouvrages (nouveaux forts) 3. la ligne des forts 4. la défense de la ville 5. la défense de la Meuse On en arrive alors à parler des troupes, qui ont été localisées dans la région de Liège :
En réalité: les troupes du III C.A.; les 2ème et 5ème D.I., les 1er et 2ème Régiments Cyclistes Frontière, une partie du 1er Lanciers, ainsi que les troupes de forteresse. La 4 D.I. se trouvait au Nord de Tongres, la 11 D.I. à l'Ouest d'Overpelt et la 2 D.C. sur la Gette, pas loin de Tirlemont. Dans l'ensemble, les Allemands avaient trop fortement estimé les forces belges en présence et s'étaient trompés dans la localisation de certaines unités, cela ne les empêcha pas de reprendre l'entièreté de ces troupes présumées dans une annexe de trois pages, en donnant des détails inquiétants. On avait aussi très clairement reconnu la manière, dont la sûreté de la frontière était organisée, aussi bien les objectifs, que les troupes qui devaient en exécuter la mise en place. "La sûreté du secteur compris entre Maastricht et Elsenborn et s'étendant entre la frontière et la PFL relevait, elle aussi, de la dite PFL et était assurée par le Régiment Cyclistes Frontière, renforcé de deux compagnies mixtes, formées par le 2ème Régiment de Carabiniers Cyclistes et le 1er Régiment de Lanciers. Leur mission était :
Il n'y a pratiquement rien à ajouter. Le point IV du mémoire donne une description du terrain autour de Liège, de l'infrastructure et du réseau fluvial; ici, il suffisait de mettre le mémoire de 1912 à jour. Une attention particulière était portée aux ponts de la Meuse et du Canal Albert, situés entre le pont routier d'Yvoz et le pont de chemin de fer de Visé : Ex.: Le Pont du Commerce (actuellement, Pont Albert 1er) "Environ 100 m. Ouverture en grillage de fer - piliers en pierre balustrades en barres de fer - accès et sortie du pont en maçonnerie - sur la rive gauche, derrière le pont, écluse avec batardeaux et des gouttières latérales artificielles." La partie principale du mémoire concerne naturellement les cinq. zones du périmètre défensif de la PFL, surtout les 2ème et 5ème zones. Les différents secteurs d'une zone sont toujours décrits suivant un certain schéma: 1. description du tracé et de la construction de la ligne 2. description du terrain 3. description du fort et des blocs 4. le cas échéant, description des forces en présence et de leur façon de mener le combat La position avancée, située entre Sippenaeken et Stavelot, est trop fortement évaluée par les Allemands; on y trouve bien des groupes de fortins pour Mi ou FM, prévus pour trois servants, et formant une sorte de point d'appui, mais, pas question des fortins, décrits pour canons antichar et Mi, à huit servants, ni des nids à mitrailleuse indépendants, répartis devant cette ligne. Par contre, les Allemands ont bien prévu la manière de combattre des Belges sur cette ligne: "Il y a des indices, qui laissent supposer, que les occupants de la position avancée ne se laisseront pas entraîner dans des combats sérieux et que, devant une attaque d'un ennemi supérieur en nombre, ils se retireraient à travers les ouvrages fortifiés, derrière l'ancienne ligne des forts." Venons-en aux ouvrages fortifiés et aux forts mêmes. Afin de ne pas toujours nous répéter et d'éviter les confrontations, nous présenterons seulement quelques annexes comme exemples, le reste étant considéré dans son ensemble.
Les trois nouveaux forts Aubin-Neufchâteau, Battice et Tancrémont formaient un bouclier, qui fut décrit dans le mémoire selon le schéma donné ci-dessus. Le Fort de Battice y est décrit de la façon suivante : "Le Fort de Battice avec ses positions de combat, qui s'étendaient sur ses deux côtés, a pour mission de couvrir de front Est de la PFL et, en cas d'attaque venant de l'Est, de fermer le plateau de Herve. Il contrôle particulièrement les grandes routes Aix-la Chapelle - Liège et Eupen - Liège. Le Fort de Battice comprend les dispositifs de combats suivants, qui sont très modernes et reliés entre eux par des galeries souterraines:
En ce qui concerne l'équipement d'artillerie, il faut remarquer, que les allemands eux-mêmes trouvaient les données "douteuses" ("zweifelhaft"), et, dans l'Annexe 3 du mémoire, on peut lire ce qui suit : "Il est fort douteux, que ces canons, sous coupole, d'un calibre supérieur à 155 mm, n'entrent en action; toutefois, ces calibres pourraient probablement être mis en action par l'Artillerie d'Armée en position dans les environs proches du Fort."
Les allemands eurent naturellement plus facile pour juger les huit forts réarmés, car ils connaissaient encore ces ouvrages de 1914-1918; ils y avaient même entrepris des améliorations pendant cette période. Pour les forts de Barchon, d'Evegnée, de Fléron et de Chaudfontaine, en ce qui concerne la construction et le nombre de coupoles, le mémoire donnait toujours la réalité; ces forts possédaient le même nombre de coupoles qu'en 1914. Pour les quatre autres forts, d'Embourg, de Boncelles, de Flémalle et de Pontisse, on avait, dans les années 30, enlevé plusieurs coupoles des massifs centraux. Cela avait, en partie, échappé aux Allemands. Pour Flémalle et Pontisse, on avait, en effet, remarqué, que les coupoles avaient été enlevées des massifs centraux et que les ouvertures, laissées par ces travaux, avaient été refermées au moyen de béton, et on ne se trompait pas sur le nombre de coupoles existantes, tandis que pour les forts d'Embourg et Boncelles (respectivement 4 et 5 coupoles sur le massif central en 1914), les Allemands n'avaient pas remarqué, que ces deux forts ne possédaient plus, chacun, qu'un POC et aucune coupole d'artillerie sur leur massif central respectif. Ainsi, du point de vue artillerie, le front Sud de Liège fut trop fortement évalué par les allemands. Les ouvrages extérieurs servant de prise d'air, avaient, eux aussi, complètement échappé. Un grand atout pour ces vieux forts réarmés...
Quatre forts de 1914, se trouvant à l'Ouest et au Nord-Ouest de Liège, ne furent pas réarmés, étant donné qu'on voulait concentrer tous les efforts contre une invasion venant de l'Est. Les allemands s'aperçurent que le Fort de Loncin était devenu "Monument National" et que les forts de Lantin, de Hollogne et de Liers ne semblaient plus armés. Il faut dire, que pour les forts de Lantin et de Loncin, on parle quand même de nouvelles coupoles blindées sur les saillants des massifs, mais cela ne devait être, sans aucun doute, que les anciennes coupoles escamotables pour un canon à tir rapide de 57 mm qui, après 1914, avaient été transformées par les Allemands en coupoles d'observation. Les Allemands considéraient que ces quatre forts n'avaient uniquement "qu'une valeur de points d'appui dans la ligne de défense des forts."
Sur les voies d'accès à la ville de Liège, les allemands avaient repéré plusieurs abris de tir (fortins) pour C. ATK et pour Mi, ainsi que des tranchées d'infanterie le long de la Meuse; tout cela était exact... Ils n'accordaient qu'une capacité de défense limitée à la Citadelle et au Fort de la Chartreuse. Que dit le "Denkschrift" sur ce fort, où eut lieu le rassemblement du CLHAM en Dec 1982 ? "La Chartreuse est une construction de l'époque hollandaise (1815-1830). Elle domine la ville au Sud-Ouest et se trouve à une altitude supérieure de 60 m à celle de la ville. Son champ de tir est réduit en hauteur par les constructions d'habitation et limitée sur 2 Km par les hauteurs s'étendant entre Jupille et Chênée. La Chartreuse tout comme la Citadelle a été cédée en 1891 et est utilisée comme caserne; le massif n'a plus qu'une capacité limitée de défense. Actuellement, on construit de nouveaux bâtiments de casernement dans la cour."
Sur la rive Est de la Meuse, les abris de tir de St Rémy jusqu'à la frontière hollandaise ont bien été reconnus, de même que les fortins, sis directement sur la rive Ouest de la Meuse et derrière le canal Albert (ligne Herstal-Hallembaye). Au Nord d'Eben-Emael, on remarqua les fortins "sans échelonnement en profondeur", mais, au lieu de cela, "de fortes fortifications de campagne, de grande densité et d'une profondeur d'environ 5 Km, ainsi qu'une grande quantité de positions d'artil |