Tome V - Fascicule 7 - juillet-septembre 1993


Les forts français de 1914 (période 1874-1914) (1)

Jean HARLEPIN


I. Préambule

On a déjà beaucoup parlé et écrit au sujet des fortifications belges en 1914 et 1940. Quelques lecteurs du Bulletin ont manifesté un intérêt pour ce qui se passait en France dans le même domaine.

Nous nous proposons donc d'aborder le sujet des lignes de forts en France ; nous pensons surtout aux forts contemporains de nos forts Brialmont. La période prise en considération sera de 1874 à 1914.

- 1874, parce que c'est la période où débuta la construction de ces forts.

- 1914, parce que, à ce moment, ils subirent l'épreuve du feu et se révélèrent périmés, tout comme les forts Brialmont chez nous.

Il s'agit des forts Séré de Rivières. Ceux-ci forment l'essentiel de l'ossature de la fortification française qui a joué un rôle en 1914.

Rappelons que Alain Lecomte a déjà développé ce sujet dans son article "Les fortifications Séré de Rivières et leur modernisation. 1873-1914" paru dans le Bulletin, tome III, fascicule 11.

Nous voudrions revenir sur ce sujet et, en rappelant quelques faits saillants, nous voudrions essayer de compléter par d'autres détails moins connus.

Pour rappel, un peu d'histoire :

En 1870, c'est la guerre franco-prussienne (période Napoléon III). La France se lance dans une aventure dont elle va sortir meurtrie. Le Traité de Francfort va l'amputer de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine. Cette guerre mettra en évidence une faiblesse grave sur le plan militaire : le matériel et les équipements laissent à désirer (technique en retard) ; la fortification n'est plus à la hauteur ; les plans d'état-major et la philosophie des opérations s'avèrent périmés.

Et surtout la France perd une frontière naturelle, le Rhin, avec des places fortes comme Strasbourg, Metz et Thionville.

Le pays va avoir un sursaut d'énergie et compenser sa faiblesse par la réalisation d'une nouvelle ceinture de défense ; elle va aussi repenser son artillerie, corollaire naturel des fortifications.

La France va confier à Séré de Rivières le soin de la rééquiper en fortifications sur ses frontières.

Séré de Rivières, général français (1815-1895), a participé à la guerre de 1870 dans le Génie et dirigea à partir de 1875 l'édification du système de fortification qui porte son nom.

Son système est basé sur un certain nombre de bases dénommées "camps retranchés", reliées par des "rideaux défensifs" dans les intervalles.

Pour canaliser les attaques d'un ennemi, on laisse intentionnellement des voies d'accès libres, comme les trouées de Stenay et de Charmes. On estime mieux pouvoir diriger la bataille en utilisant les camps retranchés comme bases de départ ou de refuge pour l'armée de campagne.

Les camps retranchés, outre les forts qui les entourent, possèdent une importante infrastructure de soutien pour une armée en campagne, à savoir :

- des casernements ;

- des magasins à poudre et munitions ;

- des parcs à fourrage ;

- des champs de manoeuvre ;

- des parcs à ballons ;

- des parcs d'artillerie et arsenaux ;

- des communications - chemins stratégiques et des chemins de fer (exemple : voie de 0,60 m).


Nous proposons le plan de travail ci-après :

I. Préambule

II. Examen des zones fortifées

A. Devant la Belgique

B. Devant l'Allemagne

C. Devant la Suisse

D. Devant l'Italie

E. Les bases arrière

III. Les trois époques

1. 1874-1885 : Séré de Rivières pur ; matériel Mougin

2. 1885-1992 : renforcement béton

3. 1892-1914 : triomphe du béton armé ; cuirassements

IV. Les types de forts

1. Batteries d'artillerie

2. Casernes

3. Poudrières

4. Forme des forts

5. Fossés

6. Caponières

7. Galeries

8. Les entrées

9. Armements

V. Les armements (détails)

A. Révolution de l'artillerie

B. Les casemates Mougin

C. Les coupoles cuirassées Mougin

D. Les cuirassements nouveaux - Les observatoires cuirassés

E. Défense rapprochée

F. La voie de 60 (Decauville)

VI. Liste des forts (dans un prochain Bulletin)

VII. Étude de quelques forts (dans un prochain Bulletin)


II. Examen des zones fortifiées

En 1872, la France a estimé devoir fortifier toutes ses frontières terrestres, de Dunkerque à Nice. La frontière espagnole ne reçut que peu de forts (il y a les Pyrénées !).

Nous ferons abstraction des fortifications anciennes (genre Vauban) qui existent encore de-ci et de-là, mais qui sont dépassées.

Nous verrons successivement devant la Belgique, l'Allemagne, la Suisse et l'Italie, ensuite nous dirons un mot des lignes arrières.


A. Devant la Belgique

Cette frontière s'étend de Dunkerque à Longwy.

Dunkerque est un port qui fut, depuis longtemps déjà, fortifié. Il est donc logique qu'il reçoive dans le nouveau contexte une certaine attention. Il sera doté de deux forts en plus d'ouvrages anciens.

Ensuite vient Lille, qui fut déjà antérieurement une place forte et un point stratégique. La ville reçut une ceinture de quelque 21 forts. Lille formera un camp retranché Important.

Vient alors Valenciennes qui, au départ, devait être un camp retranché, mais où rien ne fut, en fait, réalisé. On s'en tint à un faible rideau de trois forts. Ce rideau est établi dans une région au milieu de zones inondables (forts de Curgies, Maulde et Fline).

Maubeuge est une ville qui fut fortifiée par Vauban. Son importance est grande car située sur une voie d'invasion qui passe par la Belgique. C'est la trouée de Chimay, qui est un passage historique pour passer de l'Allemagne vers la France.

Cette traversée est jalonnée par Liège, Namur et Maubeuge. Ces trois villes reçurent des forts et les Allemands ne se privèrent pas de les bombarder jusqu'à destruction en 1914. Maubeuge sera donc un camp retranché ; la ville reçut une ceinture de 15 forts ou ouvrages divers.

Si nous descendons encore, nous arrivons dans la zone des Ardennes, considérée comme facile à défendre. On se contentera d'un rideau défensif. Pour ce cas, on se limitera même à remettre en service d'anciennes places fortes.

Ainsi, sur 5 forts, on trouve : Charlemont (Givet), Montmédy et Longwy. Dans la forteresse de Montmédy, on trouve des traces de casernements type Séré de Rivières. Seuls deux ouvrages sont neufs : Hirson et Ayelles.


B. Devant l'Allemagne

Après Longwy (près de la frontière du Luxembourg), on se trouve devant le territoire allemand, avec deux places fortes devenues allemandes : Thionville et Metz. À noter que Sedan, place forte en 1870  (encerclement de Napoléon III), ne jouera plus aucun rôle en 1914. On la retrouvera en 1940 !

Voyons du nord au sud :

Tout d'abord, on trouve les deux camps retranchés de Verdun et Toul, avec, entre deux, un rideau défensif. C'est peut-être la zone la plus fortifiée ; c'est aussi la zone stratégiquement la plus importante et les terribles combats de 1916 viendront confirmer la chose. Certains forts de Verdun auront leur nom inscrit dans les livres d'Histoire.

Sous ce tandem Verdun-Toul, nous avons la trouée de Charmes, avec le fort de Manonvillers. Nous avons déjà signalé que Séré de Rivières avait prévu de telles trouées afin d'amener l'ennemi à s'y précipiter. Les Allemands ne tombèrent pas dans le piège et préférèrent passer par la Belgique. En fait, ils utilisèrent la trouée de Chimay, alors que les Français les attendaient dans l'est.

Viennent ensuite les deux camps retranchés d'Épinal et de Belfort, reliés aussi par un rideau défensif. Les places d'Épinal et de Belfort possèdent chacune une dizaine de forts. Épinal est une place nouvelle, mais Belfort est une très vieille ville forte qui possède déjà une série de forts anciens qui ont bien résisté en 1870. On y ajoutera les nouveaux forts un peu en dehors de la ville.

Sous Belfort, il y a une nouvelle trouée, celle de Belfort. Elle s'étend jusque Bâle qui est en terrain assez plat. Cette partie ne joua aucun rôle en 1914.

La région fortifiée de Verdun (1915-1916)


C. Devant la Suisse

Entre Bâle et Genève, on trouve une région fort montagneuse, facile à défendre et avec peu d'accès. On ne trouvera donc que quelques forts dont certains anciens ; il faut savoir que les fortifications deviennent périmées moins vite en zone montagneuse et peuvent rester en service plus longtemps.

Il faut aussi prendre en considération que la frontière suisse est aussi surveillée par les deux camps retranchés de 2e ligne : Besançon et Dijon. Après Genève la défense est reprise par le camp retranché d'Albertville.


D. Devant l'Italie

La frontière italienne pose des problèmes spécifiques. Elle s'étend des environs d'Albertville jusque Nice. Nous vous renvoyons au plan suivant pour cette partie.

Cette région se caractérise par une zone très montagneuse et difficile d'accès, avec des cols formant des passages obligés.

On trouvera dans cette région, non des lignes continues, mais des zones ponctuelles, où se concentrent les forts, sur les hauteurs.



En examinant la partie de la France longeant l'Italie (les Alpes), on peut situer les zones stratégiques suivantes :

1. Lyon - base arrière formant camp retranché.

2. La région de Bourg-Saint-Maurice barrant un accès possible, en même temps que :

3 et 4. Albertville : toute cette région est riche en fortifications. Celles-ci sont moins connues car situées sur des sommets dominant les vallées.

5. La vallée de Saint-Jean-de-Maurienne, avec :

6. Le mont Cenis et son lac.

7. Grenoble : camp retranché en seconde ligne.

8. Briançon : très vieille ville qui a toujours été fortifiée ; passage stratégique.

9. Barcelonnette où se trouve aussi une trouée, de même que :

10. Tende et son col.

11 et 12. Enfin Nice qui possède des forts répartis dans les environs, et qui doit aussi contrôler la zone côtière. L'Italie est dans cette région, en compétition avec la France pour Menton.

13. Citons aussi la base arrière de Toulon, qui est à la fois base et port de guerre.


E. Les bases arrière

Pour une défense en profondeur, il est normal de prévoir des bases arrières, situées en profondeur et qui servent de 2e ligne.

Signalons :

La zone La Ferté - Laon

La zone de Reims

Langres

Dijon

Besançon qui surveille aussi la Suisse

Lyon

Grenoble

Toulon

Paris

Il s'agit là de véritables camps retranchés capables de recueillir une armée en campagne et lui servir de base. Ils sont entourés d'une série de forts Séré de Rivières, et, en plus, ils disposent encore de fortifications antérieures plus ou moins périmées (comme les places Vauban). Il en est parfois de même pour les camps retranchés situés près des frontières (exemple : Belfort).


III. Les trois époques

On sait que pendant la période considérée, l'évolution de l'artillerie a été rapide et importante. Après l'apparition du canon rayé et du canon se chargeant par la culasse, on a vu, en 1885, l'apparition de l'explosif brisant, la mélinite ; celle-ci remplaça la poudre noire.

Le résultat de l'utilisation de cet explosif fut une remise en question de la technique de construction de la fortification.

On peut donc considérer qu'il y eut une évolution rapide des forts. On peut distinguer trois périodes :


1. 1874-1885

La première période se situe précisément entre la construction d'une série importante de forts par Séré de Rivières, et l'apparition de la mélinite en 1885.

Les forts répondent à des conceptions nouvelles mais sont toujours réalisés en maçonnerie de pierres ou de briques. D'autre part, l'artillerie est en batterie sur le fort, à ciel ouvert, donc exposée au tir plus précis de l'ennemi.

Pourtant, on a déjà le souci d'une meilleure protection du canon, avec les casemates Mougin et les tourelles cuirassées du même Mougin.

On aura le temps de construire, pendant cette période, un grand nombre de forts, avant l'échéance de 1885.


2. 1885-1892

La mélinite entraîne une énorme déception. À peine les forts sont-ils construits, qu'il faut les considérer comme périmés. Les maçonneries sont insuffisantes pour assurer la protection indispensable contre les nouveaux explosifs. On va jusqu'à envisager le déclassement des forts ; cela sera fait pour certains d'entre eux. On va mettre les batteries en dehors des forts, et ceux-ci ne seront plus que des ouvrages d'infanterie. On essaye aussi de remédier à cette situation en renforçant les forts ; mais les crédits ont été épuisés, et seul un nombre limité d'ouvrages reçut un bétonnage des superstructures pour les renforcer. Les principales modifications sont :

a) revêtement des casernes et locaux par une couche de sable et une couche de béton non armé

b) doublement des murs de casernes (pas fréquent)

c) report des caponnières à la contrescarpe

Un certain nombre de forts furent déclassés et plus ou moins désarmés. C'est surtout sur la frontière de l'est que l'on a vu les renforcements. À Condé-sur-Aisne, les casemates Mougin furent désarmées en 1906.


3. 1892-1914

Le développement du béton et des cuirassements va bouleverser les techniques de la fortification. On va reprendre espoir dans les forts, lesquels seront construits cette fols entièrement en béton. Cela avait déjà été fait par Brialmont en Belgique. Ce sera alors le triomphe du béton et des cuirassements (tourelles).

On voit aussi apparaître, à ce moment, la casemate de Bourges et la notion de tir de flanquement.

Quelques nouveaux forts en béton viennent compléter le réseau existant.

La confiance semble revenir et on se croit bien protégé, jusqu'au moment où la déclaration de guerre vient mettre en évidence que les forts sont à nouveau périmés. C'est vrai en Belgique avec Liège et Namur, puis à Maubeuge, et cela dès le mois d'août. La nouvelle artillerie de siège allemande règle le sort des forts ; c'est le temps de la "Grosse Bertha".


Mur de contrescarpe d'un fort Séré de Rivières, réalisé en voûtes à décharge, typiques dans ces ouvrages. Toutefois, Séré de Rivières n'en est pas l'inventeur. On trouve de telles voûtes en décharge dans des ouvrages plus anciens (vu un exemple à Tournai dans une galerie sous bastion de la citadelle).


IV. Les types de forts

Comme la majorité des forts est du type Séré de Rivières, voyons ce qu'on trouve dans ce genre d'ouvrage.

En fait, un fort Séré est une grosse batterie d'artillerie, avec un accompagnement d'infanterie, ainsi que de tous les moyens permettant de vivre et survivre, même encerclé par l'ennemi.

Voir les plans ci-après pour l'allure générale du fort et des remparts.

On trouvera donc :


1. La batterie d'artillerie

Basse ou plus généralement haute, cette dernière se trouve alors sur les superstructures de la caserne. Elle comprend un nombre variable de pièces de calibres qui peuvent être de 80, 90, 95, 120, 138 ou 155 mm à cette époque.

Les canons sont du type classique sur affût à roues ; les plus courants dans les forts seront les calibres de 95, 120, et 155.

On commence à voir des affûts spéciaux pour le tir derrière un parapet ; l'affût est alors surélevé. Cette configuration est caractéristique de l'époque, car le parapet, étant plus haut, le personnel est mieux protégé.

Le chargement par la culasse est adopté partout.

Des pièces, modernes pour l'époque, seront les 120 et 155 système De Bange (portée de 9800 m pour le 155).

Pour la protection, au début, on ne voit rien en toiture. La protection latérale se fait par traverse abri et pare-éclats.

Pour la protection frontale, on a le parapet.

La plupart du temps, la traverse abrite une casemate (parfois deux étages) servant d'abri aux pièces, qu'il faut sortir pour les mettre en batterie.

Tous ces canons ont encore un recul lors du tir.


2. Les casernements

Ils sont plus ou moins importants selon les forts ; ceux-ci sont constitués de casemates voûtées à raison de un ou deux étages. Le matériau est la maçonnerie de pierres ou de briques (dans le nord) selon les lieux.

La caserne est recouverte de terre et adossée à un massif de terre. Elle donne sur une cour par une façade typique.

On trouve dans les casernes tous les services nécessaires à la vie de la troupe (artilleurs et fantassins), avec logements, cuisines, magasins divers, ateliers, et services divers. On trouve même une tisanerie (service médical !).


3. Les poudrières

Avant 1885, nous sommes encore dans le domaine de la poudre noire et il est nécessaire de la garder, au sec, dans des magasins appelés poudrières. Il y en a une, deux ou trois selon la grandeur du fort. On peut y mettre plusieurs tonnes de poudre.

Pour assurer la sécheresse dans le local, ce dernier est entouré d'une galerie de ventilation. Les poudrières sont recouvertes de terre ; elles sont généralement situées aux extrémités latérales des casernes et accessibles par des galeries de liaison.


4. La forme

Séré de Rivières a adopté les théories de Montalemberg.

Il en est donc venu à la notion de système polygonal. Il en résulte que la forme des forts est faite de polygones. Certains sont symétriques, d'autres asymétriques ; ils ont de 4 à 6 côtés.

On trouve un front, côté ennemi, et une gorge, côté ami. L'entrée est presque toujours située à la gorge ; les parties latérales sont les flancs.

Il y a une exception avec les forts d'arrêt, qui n'ont ni front ni gorge, car ils sont carrés et doivent se défendre dans tous les azimuts (exemples : Frouard et Villey-le-Sec).

La forme est donnée par le tracé d'un fossé de défense dont nous allons parler.


5. Les fossés

Élément important pour la défense de la fortification, le fossé a beaucoup évolué. Le plan ci-dessous montre cette évolution depuis le fossé des villes du temps de Vauban, jusqu'aux fossés des derniers forts français avant 1914 (XXe siècle).



Le fossé des forts Séré de Rivières comporte une contrescarpe, réalisée en maçonnerie du type "voûte à décharge". Elle retient le glacis qui est sous le feu des tirs depuis la banquette de tir.

L'escarpe est souvent retenue par un mur plus bas, pour être à l'abri des tirs ennemis.

Sur ce mur de retenue des terres, on trouve parfois un mur ajouté, derrière lequel l'infanterie peut agir au travers de meurtrières pour la protection des fossés.

Au droit des traverses, on trouve les profils repris au plan ci-dessous, A et B, en travers de la traverse et entre les traverses.



Ces modifications aux fossés sont dus aux développements de l'artillerie en précision et puissance, au point qu'à la fin, l'escarpe ne sera plus constituée que par la levée de terre. Une grille, des barbelés et des plantes piquantes serviront d'obstacles pour l'ennemi, dans les fossés ; ces obstacles seront couverts par les tirs depuis les banquettes.


6. Les caponnières

Elles sont destinées au tir flanquant dans les fossés. Elles sont simples ou doubles et situées aux angles des forts. Ces caponnières sont du type rattaché à la partie centrale de l'ouvrage. Par la suite, elles seront reportées aux contrescarpes et seront appelées coffres (comme dans les forts Brialmont).

Les caponnières typiques de Séré de Rivières comportent les éléments suivants :

- une galerie d'accès généralement à partir d'une cour intérieure ;

- des créneaux horizontaux de protection d'un fossé diamant couvrant les embrasures de tir des armes lourdes ;

- des emplacements pour canons de défense des fossés (canon revolver contre l'infanterie, canon de 12 culasse contre les moyens de franchissement) ;

- une galerie flanquante entourant la caponnière avec embrasures pour fusils et créneaux de pieds pour la défense de la partie du fossé contournant la caponnière.

Ces caponnières sont parfois des bâtiments impressionnants, et peuvent être à étage.



7. Les galeries d'accès

Les forts comportent un assez grand nombre d'éléments de galeries de liaison. Ces passages relient des locaux entre eux, mais aussi des cours aux organes de tir. Il en résulte que pour gagner un point quelconque du fort, il est parfois nécessaire de traverser une ou plusieurs cours à l'air libre. Par la suite, toutes les galeries seront en sous-sol. Les sorties donnant sur les cours se terminent par des trémies en maçonnerie pour retenir les terres.


8. Les entrées

Les poternes d'entrée sont d'un type analogue à celui que l'on trouve dans les forts belges. Par contre, leur défense se fait encore souvent par des éléments anciens tels que des lunettes. En général, la poterne étant à l'escarpe, il est nécessaire de traverser le fossé ; cela se fait par un pont en partie fixe, et en partie amovible. Le fossé et le pont sont évidemment sous le feu d'une caponnière.


9. Les armements

Nous renvoyons à un chapitre spécial à ce sujet.


Shéma type d'un fort de la période 1875-1885


Dessin représentatif d'un rempart typique, tel qu'on le voit dans les forts Séré de Rivières. On trouve le parapet avec les embrasures pour les canons,la traverse abri et un pare éclats (contre les tirs d'enfilade). Sous la traverse, la casemate, abri des canons.


V. Les armements


A. Révolution de l'artillerie

Il faut avoir présent à l'esprit que le conflit de 1870 a révélé des déficiences graves dans le matériel de l'artillerie française. La défaite a amené une réaction qui se traduisit par des études poussées pour doter l'armée de nouvelles pièces d'artillerie. C'est pourquoi la France a vu apparaître des noms nouveaux de personnages qui furent de bons artilleurs.

Citons :

- De Bange

- Rimailho (système Rimailho)

- Lahitolle (concurrent de De Bange)

- Hauberdon (participa à la naissance du 75)

- Filloux (15 Long GPF + mortier de 370 mm)

- Estienne (celui des chars)

De même que les forts seront "démonétisés" en 1914, cette artillerie le sera aussi, mais on ne peut nier que les améliorations furent réelles et la production de cette période fut de qualité.

Nous retiendrons surtout deux types de canons, parce que ceux-ci équipèrent en grande quantité les forts :

- Le système De Bange, modèle 77, en calibres 120 et 155 mm.

- Le système de Lahitolle, modèle 88, en 95 mm.

Ces pièces sont en acier, aussi bien le tube que l'affût. Le chargement se fait par une culasse du type à vis et obturateur plastique. Dans l'ensemble de l'artillerie, on trouve les calibres de 80, 90, 95, 120, 138 et 155 mm.

À cette époque est née l'artillerie de siège et de place qui vit l'adaptation des bouches à feu pour le siège et l'équipement des places fortes. C'est ainsi que l'on réalisa des affûts en métal du type surélevé pour tirer derrière un parapet, en assurant une meilleure protection au personnel.

C'est ce qu'on appelle le tir à barbette.

La pièce est placée non seulement derrière un parapet, mais est protégée latéralement par des masses de terre, pour éviter de subir le tir en enfilade. Ces masses de terre sont soit des pare-éclats, soit des traverses abris. Ces dernières comportent en effet, en plus de leur rôle de protection, celui d'abriter le canon ; pour cela, une casemate est construite dans la traverse.

Les notions de traverse et de tir en enfilade existaient déjà du temps de Vauban.

Comme on le voit, la protection en toiture n'était pas envisagée.

Pour assurer une protection totale, il restait à couvrir le canon par le haut ; ce sera l'idée du commandant Mougin qui, s'inspirant d'idées semblables nées en Allemagne (casemate Schumann en 1865), réalisa une casemate de protection totale du canon en utilisant des blindages en fonte en toiture (voir ci-après).

Revenant à l'artillerie dont question ci-dessus, il faut la considérer comme une avancée technique importante, même si les pièces n'ont pas encore de frein ni de récupérateur.

Elle sera la bienvenue en 1914 pour assurer les appui feu avec succès, en attendant que l'industrie développe des nouveaux canons plus performants encore (Schneider). Ces derniers seront d'ailleurs encore en service en 1940.


Caractéristiques principales des canons

a) canon de Lahitolle de 95 Modèle 1888


Portée

9800 m

Vitesse

440 m/s

Munitions

- gargousses (2 charges)

- Boîte à mitraille (186 balles).

- Obus à mitraille de 12 kg  (160 balles et 9 galettes de fonte)

- Obus explosif de 12 kg.


Culasse à vis système Lahitolle

Affût de campagne ou de siège et place (dit "omnibus")

Vitesse de tir : 1 coup à la minute

Recul limité soit par sabots, soit par frein hydraulique

Tir sur pateforme. Retour en batterie par coins en bois


b) canon De Bange 120 L Modèle 1878


Portée

11.200 m

Vitesse

525 m/s

Munitions

- gargousses (5 charges)

- Boîte à mitraille (300 balles)

- Obus à mitraille de 18,7 kg (280 balles et 9 galettes en fonte)

- Obus explosif


Culasse à vis système De Bange

Affût en acier sur plateforme en bois avec pièce en fonte où s'attache un frein hydraulique. Retour en batterie par coins en bois

Vitesse de tir : 1 coup à la minute


c) canon De Bange 155 L

Le modèle qui nous intéresse est le 155 L Modèle 1877 tirant sur plateforme.


Portée

12.700 m

Vitesse

515 m/s


Même genre de munitions que le 120 L


B. Les casemates à canon

Un des éléments les plus caractéristiques de cette époque, est la casemate Mougin. Avant de la détailler, il est bon d'en rechercher la raison d'être.

Depuis qu'il y a artillerie, on a procédé à des tirs à partir de forteresses et cela au travers d'embrasures. Ces ouvertures dans les casemates avaient certaines dimensions, résultant des éléments ci-après :

a) Le tir à poudre noire engendrait des fumées et des gaz. Il fallait donc une ventilation en combinaison avec des cheminées.

b) Il fallait que les artilleurs aient une vue assez large sur les objectifs, car on tirait à vue.

c) Et surtout, la configuration des canons exigeait un certain espace pour déplacer la bouche du canon. Le réglage en site était fait par rotation autour du point G, qui dans ce cas, est le centre de gravité. Il en résulte que la bouche a un certain débattement.

Dans de nombreux cas, on tirait à l'air libre, ce qui évitait les sujétions de l'embrasure. Le tir se faisait à partir de terrasses derrière des parapets (tir à barbette). Mais alors, la protection était moindre.

Lorsque l'artillerie se perfectionna, ce qui fut précisément le cas dans notre période, il fallut recourir de plus en plus, en fortification, à l'emploi de casemates. Avec la précision accrue, même les embrasures posèrent des problèmes.

Une étude de R. Gils, dans le bulletin de la Simon Stevinstichting, attire l'attention sur les conséquences de l'adoption vers 1860 du canon rayé ; outre la portée accrue, la dispersion des projectiles à l'arrivée est beaucoup plus faible. Ainsi, pour 14 % des projectiles pénétrant dans une embrasure de 1,55 x 3,75 m, dans le premier cas, on a 66 % des coups au but, dans le cas des canons rayés. Et la portée considérée passe de 600 m à 800 m.

Il fallut donc en arriver à réduire au maximum la surface des embrasures. D'où l'apparition de la notion de casemates à embrasure minima.

On trouvera cette idée en Allemagne avec Schumann et en France avec Mougin.

Mais l'embrasure de petite dimension (limitée au passage de la gueule du canon) posa à son tour des problèmes, à cause du débattement de la bouche de la pièce.

Il fallut donc résoudre cette question ; cela se fit en modifiant la cinématique du tube, de façon à le faire tourner, non plus autour de son centre de gravité, mais autour d'un point fictif situé précisément à la bouche qui devait rester immobile devant une petite embrasure.

Tout le monde connaît la solution adoptée dans les tourelles de 1914, où l'extrémité du tube du canon est enchâssé dans une rotule qui sert de point de fixation dans la calotte, tout en permettant un certain déplacement du tube. Mais du temps de Mougin la précision des usinages ne permettait pas encore cette solution.

Comment a-t-on procédé ?

a) En azimut

Le canon et son affût étaient montés sur un châssis en forme de secteur articulé autour d'un point G situé juste sous l'embrasure, et se déplaçant en tournant autour de ce point auquel il était attaché. Ce châssis était muni de roues et cela permettait le pointage en azimut.

b) En site

Ici la situation est plus complexe. En effet, le fait de devoir articuler le tube en hauteur autour du même point G, rendait la manoeuvre difficile du fait que tout le poids du tube était situé d'un seul coté du point G (plus d'équilibre si G n'est plus le centre de gravité). Il a donc fallu prévoir un système de contrepoids pour équilibrer les masses en présence.

D'autre part, le point G est fictif et il n'y a pas d'articulation à la bouche.

Il faut donc imprimer au tube un mouvement d'oscillation autour de G en prenant d'autres points d'appui.

On a trouvé la solution en dotant le tube de 2 points fixes, mobiles avec celui-ci, et de 2 points fixes sur l'affût. Ces points seront reliés par un système de parallélogrammes déformables, calculés pour assurer au tube la trajectoire souhaitée. Deux glissières incurvées sont prévues dans les flasques de l'affût pour guider le déplacement du tube.

D'autre part, on sait que les canons de cette époque subissent, lors du tir, un recul plus ou moins violent. Sur la pièce qui nous concerne, le problème a été résolu comme suit : l'affût proprement dit glisse sur un chemin de roulement incliné. Cet affût est en même temps relié à la partie inférieure par une liaison hydraulique, qui freine le recul. La partie inclinée assure le retour en batterie par gravité.

Par la suite, les canons reçurent des freins et des récupérateurs incorporés, mais ce sera plus tard.

Voyons maintenant la casemate elle-même.

Son but est évidemment de protéger les armes et les servants. La conception fait appel aux techniques nouvelles liées au développement de la métallurgie.

La casemate a la forme d'un trapèze de 7,5 m de long, sur 7 m dans sa plus grande largeur. Le plafond est constitué de 4 plaques en fonte dure, jointives et d'un poids de 42 tonnes.

Ces plaques s'appuient en avant, sur la plaque d'embrasure ou bouclier, d'une épaisseur de 0,75 ni pour un poids de 23 tonnes. Tous les joints sont en plomb maté ce qui donne une souplesse à l'impact des projectiles.

L'ensemble est recouvert d'une couche de béton (1 m). En outre, une couche de terre ou de sable clôture la protection.

Il est possible d'obstruer l'embrasure de la casemate ; un obturateur mobile, placé devant le bouclier, peut monter et descendre devant l'embrasure. La commande peut se faire depuis l'intérieur de la casemate par un treuil, et un ingénieux système de contrepoids limite l'effort.

Ce type de casemate est équipé du canon 155 L De Bange à chargement par la culasse. Son débattement se fait comme indiqué précédemment.

Il est à noter que cette casemate est frontale ; on tire directement sur l'ennemi. Elle date de 1882 (postérieure à la casemate Shumann), mais elle précède l'invention de l'obus torpille (en 1885).

On trouve de telles casemates dans les forts suivants :

a) Fort de Mont Bart (Belfort) : 1 casemate.

b) Fort de Condé/Aisne (Soissons) : 2 casemates.

c) Fort de Joux (Pontarlier) : 2 casemates.

d) Fort de la Tête de Chien (Nice) : 1 casemate.

e) Fort et Batterie des Ayvelles (Maizières) : 2 casemates.

f) Batterie de l'Eperon (Toul) : 2 casemates.

Par la suite, on évoluera vers les casemates défilées, tirant latéralement, et bien protégées du coté ennemi. Ce seront les casemate de Bourges.

Cette idée sera reprise dans les casemates à canons de la ligne Maginot.


(À suivre)


Date de mise à jour : Vendredi 4 Décembre 2015