Tome V - Fascicule 6 - avril-juin 1993


Le commando d'Arthur

Gilbert SPOIDEN


Qui entre par le Hesbain
est combattu l'endemain

(adage liégeois)


Dans le mensuel Coeurs belges du 1er juillet 1945, nous avons relu l'extraordinaire histoire d'Arthur et de son fameux commando.

Coeurs belges a été fondé sous l'occupation allemande en 1942 et a été l'organe de la Résistance.

Dans son n° 13 du 1er juillet 1946, nous voyons comment s'est établi un maquis en pleine Hesbaye, région peu propice par sa configuration, à l'action clandestine, et pourtant...

Dés 1941, Arthur Derwa, de Bergilers, aidé des maréchaux des logis Charles Bastin et Jean Dominicy de la brigade de gendarmerie d'Oreye, se mettent en devoir de recueillir et de réparer les armes abandonnées par l'armée belge et de diffuser des tracts clandestins pour contrer l'action de propagande ennemie. Cette cellule dépend du mouvement de résistance "La Légion Belge".

En novembre 1942, les premiers réfractaires au travail forcé viennent chercher refuge auprès du petit groupe qui s'évertue à les répartir dans les fermes de la contrée. Bientôt l'idée de créer un commando d'hommes résolus germe dans l'esprit d'Arthur.

Une opération menée avec Aramis, responsable du secteur de Huy, permet de récupérer 22 pistolets dans une maison communale des environs de Tongres. Ces volontaires pour le commando, dont la solde mensuelle a été fixée à 800 francs, sont logés dans des bâtiments abandonnés, fermes ou maisons particulières. Le ravitaillement est assuré par des fermiers acquis à la cause de la Résistance. La cohésion du groupe repose sur une discipline de fer.

Début 1943, le commando compte 80 hommes décidés. La mission qui leur incombe est de faire la chasse aux traîtres, aux dénonciateurs et indicateurs de la Gestapo. Le commando dénommé initialement "6e troupe de choc - 3e compagnie" (6 TC 3), devient la SPB (Section punitive belge), connue sous l'appellation plus familière "Groupe Zéro". Son rayon d'action comprend 21 villages hesbignons sis entre Liège et Waremme.

Ce maquis est un modèle d'organisation mais les Allemands ne tardent pas à s'inquiéter. Des allées et venues suspectes d'étrangers à la région leur sont signalées par des indicateurs. L'identité réelle du chef de commando est rapidement connue de l'ennemi qui met tout en oeuvre pour le capturer.

Le 9 décembre 1943, le commando mène une action à la clinique Joseph Wauters à Waremme, en vue de délivrer Paul Fremder, un des leurs, prisonnier des Allemands. L'action échoue. Paul Fremder est abattu par un gardien. La tentative a cependant impressionné très fortement la Gestapo. Les effectifs de la Feldgendarmerie sont renforcés, une section de gestapistes s'installe à Waremme et une nouvelle brigade est créée à Fexhe.

Les patrouilles allemandes s'intensifient mais leurs passages sont signalés à Arthur par des sympathisants. Des accrochages avec les feldgendarmes et les gestapistes deviennent fréquents. Arthur pousse l'audace jusqu'à se promener de jour dans son domaine, armé jusqu'aux dents.

Le 16 juin 1944, voulant délivrer deux membres de son commando capturés par les feldgendarmes, Arthur réunit une vingtaine d'hommes et, à vélo, le groupe rejoint les Allemands et leurs prisonniers à Lamine, où la bagarre éclate autour de l'église et du cimetière. Malheureusement, des renforts ennemis affluent et le groupe Zéro va se retrouver à 1 contre 10. Mais leur fusil-mitrailleur fait du bon boulot en tir de flanquement !

Grâce aux blés très hauts, les maquisards se replient. L'ennemi, très meurtri, manque de mordant. Il compte 17 morts et une vingtaine de blessés sur 200 soldats alignés.

Les maquisards dénombrent 7 manquants. Parmi eux, Beaupain Albert, de Stavelot, Dehasque Jules, de Saint-Nicolas, Doseray Sébastien de Beyne-Heusay et Belleville Jules, d'Anthisnes, sont morts au combat.

Après cet affrontement sanglant, les Allemands s'emploient à resserrer leur surveillance : il leur faut Arthur Derwa, mort ou vif. Connaissant les moindres recoins de sa région, Arthur échappe aux Allemands qui l'encerclent un jour dans un café à Crisnée, mais il parvient à s'enfuir à travers champs.

Les secrets de l'organisation du groupe Zéro sont bien gardés. Plutôt que de dévoiler quoi que ce soit, Guillaume Quaedvlieg de Plombières se laisse torturer, endure stoïquement tous les sévices que lui fait subir la Gestapo, mais il ne parlera pas. Il reviendra de Buchenwald dans un piteux état mais fier d'avoir tout enduré sans faillir à son devoir.

Raymond Lepouse, plutôt que de fournir des indications sur son groupe, se précipite du 2e étage de la Kommandantur de Liège et s'écrase sur le sol. Les Allemands, excédés des activités terroristes qui se multiplient de jour en jour, décident l'anéantissement du commando d'Arthur. Trois cents soldats sont affectés à cette tâche. Village après village, tout est passé au peigne fin. Mais le groupe Zéro se déplace de nuit et les Allemands rentrent chaque fois bredouilles. Ils n'ont pas assez d'effectifs pour isoler tout le secteur !

Depuis mai 1944, les Maquisards sont dans l'attente du débarquement. Quand il survient, les énergies sont décuplées. Les sabotages se multiplient. De nouvelles armes sont réceptionnées.

Lors de la retraite des troupes allemandes, signalons les combats de Momalle (7 septembre 1944), de Streel (5 septembre 1944). Plusieurs résistants du groupe y perdirent la vie. Citons Massart Albert, de Namur, Delhalle Jean-Louis de Liège, Knaepen Alphonse de Geets-Bets, Linchet Henri, de Flawinne, Dethier Edmond d'Oreye, Dessart Maurice de Saint-Nicolas.

Honneur aux vaillants maquisards de Hesbaye, aux héros du groupe Zéro, aux héros du groupe Otarie, dont l'histoire vous sera racontée dans un prochain Bulletin, aux habitants qui ont tout risqué pour les aider.

Cinquante ans après l'installation de la première cellule de résistance en Hesbaye, notre revue s'est fait un devoir de rappeler l'essentiel des faits d'armes de ces braves qui n'acceptèrent pas l'oppression et se dressèrent fièrement devant l'envahisseur.



Hommage à Raymond Lepouse

Le 7 mai 1993, des anciens Résistants membres de l'Armée secrète et du groupe Zéro se sont retrouvés, place du Pilori, le long du palais des Princes-Évêques de Liège, devant la plaque commémorative dédiée à Raymond Lepouse.

Ils ont rendu hommage à ce Résistant arrêté en 1944 par les Allemands. Interrogé dans les locaux de la Kommandantur, au deuxième étage du palais, le 20 juillet 1944, Raymond Lepouse, les mains liées dans le dos, s'est précipité par la fenêtre pour ne pas révéler le nom de ses compagnons. Il est mort le lendemain.

Il était agent des Intercommunaux Liégeois.

Source : Journal La Meuse du 12 mai 1993.


Plaque commémorative dédiée à Raymond Lepouse, apposée sur la façade du palais des Princes-Évêques à Liège



Annexes

En complément de l'article ci-dessus, nous jugeons utile de reproduire deux textes relevés dans la revue trimestrielle n° 28, de mars 1992, de l'Association belge des Jeunes pour le Souvenir des deux Guerres.

La Résistance en Belgique

"Dès après l'invasion allemande, en 1940, des patriotes issus du nord comme du sud du pays se dressèrent contre l'occupant.

"Néerlandophones et francophones combattirent afin de préserver les valeurs qu'ils considéraient comme inhérentes à la civilisation.

"Dans l'ensemble du pays, les actions se multiplièrent et furent coordonnées afin de rendre la lutte plus efficace.

"C'est ainsi que se créèrent les divers mouvements de résistance qui se structurèrent et portèrent des coups très durs aux forces occupantes.

"Dans les rangs de la Résistance, les pertes furent malheureusement fort nombreuses.

"La Gestapo, aidée dans sa traque aux Résistants par des individus sans scrupule qui se montraient bien souvent plus cruels que leurs maîtres, mena une guerre sans merci contre ceux de nos compatriotes qui osèrent s'opposer à leurs sinistres desseins.

"Des milliers et des milliers de Résistants furent condamnés par les tribunaux allemands.

"Les conditions de détention furent telles qu'elles excluaient, non seulement l'oubli, mais même le pardon.

"La technicité moderne qui devrait être destinée à l'amélioration de la condition humaine servit, au contraire, à créer des raffinements de cruauté qui furent utilisés afin d'augmenter les souffrances de ceux qui, dans les camps de concentration ou dans les prisons nazies, subissaient les sévices de leurs geôliers.

"Les survivants de cette lutte clandestine ne peuvent oublier les longues années de ce combat qui marqua leur vie à jamais. Ils ne peuvent également oublier le sang versé et la disparition de tant de leurs frères de combat.

"Puissent les générations qui suivent se souvenir du combat mené par leurs aînés et faire en sorte que l'humanité ne connaisse plus la dictature et des régimes faisant fi des règles les plus élémentaires de la démocratie.

Texte : Comité d'Action de la Résistance.

Groupements constituants

Résistance armée : les Affranchis, l'Armée de la Libération, l'Armée secrète, le Groupement général de Sabotage "G", les Insoumis, la Kempische Legioen, L. 100, les Milices patriotiques du FT, le Mouvement national belge, l'Organisation militaire Belge de la Résistance, le Service "D", la Witte Brigade "Fidelio", les Partisans armés.

Presse clandestine : L'Union nationale de la Presse clandestine, la Fédération nationale des Journaux clandestins du FI.

Résistance civile : Le Front de l'Indépendance, la Confédération nationale des Résistants civils de Belgique qui comprend en outre la Fraternelle nationale des Isolés de la Résistance.

La Presse clandestine

"La Presse clandestine occupe une grande place dans la Résistance belge ; son rôle primordial est confirmé par l'importance de la répression de l'occupant à son égard.

"Dès le 15 juin 1940, les premiers tracts furent distribués par des volontaires désireux de soutenir le moral de leurs compatriotes et de s'élever contre les nouvelles tendancieuses ou fausses diffusées par ce qui était devenu la presse officielle.

"Les premiers numéros clandestins furent imprimés avec des moyens rudimentaires, ensuite aussi par des résistants imprimeurs.

"Ceux-ci, ainsi que les distributeurs risquaient, soit par une dénonciation, soit au cours d'un contrôle, leur propre liberté, c'est-à-dire non seulement l'incarcération mais en outre les tortures et la déportation.

"12.128 ont été reconnus comme Résistants par la Presse clandestine, dont un tiers à titre posthume.

"674 journaux clandestins différents permirent à la population de garder l'espoir en des jours meilleurs et en la victoire finale.

"Saluons avec respect et émotion tous ceux qui firent don de leur vie pour notre liberté."

G. S.


Date de mise à jour : Mercredi 2 Décembre 2015