Tome IV - Fascicule 6 - avril-juin 1990


Les défenses allemandes au littoral belge pendant la Première Guerre mondiale

Ph. FRANCART


Avant-propos

Les Allemands ne doutaient aucunement de l'importance de Zeebrugge qui était la plus grande base navale offensive, complétée par Bruges et Ostende. Pour assurer la protection de ce nid de sous-marins, engins dont les Allemands attendaient la solution victorieuse du conflit mondial, les dunes de la côte belge furent transformées en une puissante base de feux. Sur moins de 50 km, étaient accumulées une soixantaine de batteries dont 5 pièces de 380 pouvant tirer jusqu'à 50 km, 4 de 305, 20 de 280, des canons de moyen et petit calibre, des ouvrages d'infanterie, des nids de mitrailleuses bétonnés, des batteries antiaériennes, des réseaux de fils de fer établis parfois jusqu'à la laisse de haute mer, des stations d'hydravions, etc. Les abris, nombreux, étaient enfoncés dans les sables, sous les digues et les boulevards des stations balnéaires. La digue de promenade d'Ostende en particulier était devenue un long abri bétonné, flanqué de batteries cuirassées ou bétonnées présentant jusqu'à 4 mètres de protection de béton armé au ciel.


Principe de l?organisation défensive allemande

1. Les batteries de côte devaient répondre par le nombre et le calibre des pièces à un engagement avec les forces navales importantes.

2. Contre les raids et débarquements, les défenses devaient comprendre de l'artillerie de petit calibre, les canons de 105, 88 et canons de bord de 60, 52 et 37 ; des redoutes avec postes d'observation, obstacles, mitrailleuses de flanquement ; des nids de 3 ou 4 mitrailleuses situés en des points tactiques importants ; des tranchées entourant les batteries situées dans les dunes ou reliant ces batteries avec d'autres ouvrages ; des champs de mines et des réseaux de fil de fer longeant la plage de Westende à Raversijde.

3. Augmenter la densité de ces éléments d'artillerie et de petites armes près des points sensibles de la côte et réaliser en chacun des points occupés une très forte défense locale.


Position de résistance

La responsabilité de la défense du littoral incombait principalement à l'artillerie de côte. Celle-ci, agissant en coopération très étroite avec les forces de terre et de mer, devait attaquer par le feu tout ennemi à portée efficace.

Les batteries étaient réparties de façon à pouvoir barrer toutes les passes d'accès du littoral ; un grand nombre d'entre elles pouvaient concentrer leurs feux sur le front des entrées de Zeebrugge et d'Ostende.

L'interdiction de l'embouchure de l'Escaut occidental était parfaitement assurée par le tir de nombreuses batteries.

Depuis Raversijde jusqu'à la frontière hollandaise (40 km de côte), 36 batteries ont été créées. Elles étaient réparties suivant les catégories principales suivantes :


1. Défense contre un bombardement à longue portée

Cette défense était confiée à des batteries placées en général en arrière des dunes qui ne pouvaient agir que par pointage indirect.

Le tableau ci-après donne la nomenclature de ces batteries classées suivant leur portée extrême.


N° d'ordre

Nom des batteries

Types et nombre de pièces

Portée extrême

1

Deutschland/Jacobinessen

4 x 38 cm SKL/45 (6 )

± 39 km

2 (4)

Pommern/Leugenboom

1 x 38 cm SKL/45

± 48 km

3

Kaiser-Wilhelm II

4 x 30 cm SKL /50

± 37 km

4

Tirpitz

4 x 28 cxm SKL/45

± 35 km

5 (1)(5)

Het Zoute/Braunschweig

4 x 28 cm SKL/40

± 28 km

6 (1)

Hessen/Donkerklok

4 x 28 cm SKL/40

± 28 km

7 (2)(5)

Hannover/De Haan

4 x 28 cm SKL/40 E

± 28 km

8 (2)

Preussen/Turkeyn

4 x 28 cm SKL/40 E

± 28 km

9 (3)

Oldenburg

4 x 17 cm SKL/40

± 24 km

10

Schlesien

4 x 17 cm SKL/40

± 24 km

11

Sachsen/St-Jean

4 x 17 cm SKL/40

± 24 km



(1) Les batteries Het Zoute et Donkerklok semblaient être aussi des Eisenbahnbatterie (voir (2) ci-dessous).

(2) Ces canons qui étaient des pièces sur rails (E = Eisenbahnbatterie) pouvaient aussi être déposés sur plates-formes bétonnées à cheval sur les rails.

(3) Ces batteries tiraient aussi le shrapnel jusqu'à 27 km de distance.

(4) La batterie du Pommern/Leugenboom, qui était parait-il équipée pour le tir vers la mer, aurait effectué généralement des tirs vers des objectifs terrestres.

(5) Les emplacements Hannover et Het Zoute étaient vraisemblablement utilisés comme emplacements de rechange pour une même batterie.

(6) SKL/45 = Shiff Kanone Lange/45 - Canon de marine dont le tube mesure 45 calibres.


2. Défense contre les raids et les tentatives d'embouteillage des ports

Elle était réalisée par batteries à pointage direct, sauf Groden et Hindenbourg, installées le long des dunes et groupées principalement de part et d'autre de Zeebrugge et d'Ostende. Ces batteries comprenaient divers calibres depuis le 88 mm jusqu'au 280.


N° d'ordre

Nom des batteries

Types et nombre de pièces

Portée extrême

12

Bremen

4 x 5,2 cm

4 x 10,5 cm SKL/45

± 12 km 

13

Lekkerbek/Köln

3 x 8,8 cm

1 x 10,5 cm SKL/45

± 12 km 

14 (10)

Hamburg

4 x 10,5 SKL/45

1 x 10,5

± 12 km 

15

Augusta

3 x 15 cm SKL/40

± 12 km

16

Freya

4 x 21 cm SKL/40

± 23 km

17

Kanal

4 x 8,8 cm


18

Friedrichsart

4 x 17 cm S KL/40

± 23 km

19 (7)



Môle

Zeebrugge/Blankenberghe

Zeebrugge/Blankenberghe

1 x 8,8 cm

5 x 10,5 cm SKL/45

2 x 15 cm SKL/40


± 12 km

± 19 km

20

Lübeck

2 x 15 cm SKL/40

± 19 km

21 (8)

Wurtemberg /Zeppelin

4 x 10,5 cm SKL/45

± 12 km

22

Groden

4 x 28 cm Haubitze

± 11 km

23 (10)

Mittel


4 x 10,5 cm SKL/45

1 x 15 cm Haubitze

± 12 km


24

Kaiserin

4 x 15 cm SKL/40

± 19 km

25 (10)

Hafen


4 x 8,8 cm

1 x 10,5 cm



26

Herta

4 x 21 cm SKL/40

± 22 km

27 (9)

Ludendorff/Petite Irène

ou encore Kurland

2 x 15 cm SKL/40

4 x 21 cm SKL/40

28 (10)

Irène

3 x 15 cm SKL/35

± 13 km

29

Hindenburg

4 x 28 cm SKL/35

± 8 km

30 (10)

Friedrich


4 x 8,8 cm

1 x 15 cm Bombenwerfer



31

Eylau/Poudrière haute



4 x 8,8 cm

2 x 5,2 cm

1 x 10,5 cm SKL/45



± 12 km

32

Palace-Hotel/ Gneisenau

4 x 17 cm SKL/40

± 19 km

33

Cecilie

4 x 15 cm SKL/45

± 15 km

34

Beseler

4 x 15 cm SKL/40

± 19 km

35

Antwerpen

4 x 10,5 cm SKL/45

± 13 km

36

Aachen

4 x 15 cm SKL/40

± 19 km



(7) Il s'avère que le nombre exact de canons déposés sur le Môle est inconnu.

(8) Wurtemberg n'avait que 3 canons de 10,5 cm mais Zeppelin, 4 de 8,8 cm A.A.

(9) La batterie Ludendorff n'aurait jamais été armée.

(10) Les batteries Hamburg, Mittel, Hafen, Irène et Friedrich étaient équipées d'un canon, obusier ou mortier destiné aux tirs de projectiles éclairants.


Nous avons aussi trouvé trace des batteries suivantes :

Schützennest  6 x 5 cm

Schleswig Holstein  2 x 17 cm

Leopoldkanal  2 x 5,2 cm

Gneisenau II  2 x 17 cm

Blücher  4 x 15 cm

Seekamp  2 x 17 cm

En outre il existait immédiatement à l'est de Blankenberge une batterie dite "Block Batterie" qui avait 4 vieux canons.

De même à Raversijde, à 300 m à l'ouest de la batterie Aachen, il y avait aussi une autre batterie de 4 vieux canons. Ces deux batteries, dotées de 150 belges datant de 1865, ne servaient que de leurres.

Toutes ces batteries, entourées de barbelés, étaient défendues par des réseaux de tranchées pour fusiliers, mitrailleuses, lance-bombes et mitrailleuses antiaériennes.

Appartenance des batteries

Détachement d'artillerie est

· Groupe d'artillerie à longue portée de Duinbergen : batteries Braunschweig, Freya, Herta, Hessen et Kaiser.

· Groupe de combat avancé de Knokke : batteries Augusta, Bremen, Hamburg et Schleswig-Holstein.

· Groupe de défense portuaire de Zeebrugge : batteries Friedrichsart, Lübeck et Môle.

· Groupe de défense portuaire de Blankenberge : batteries Groden, Kaiserin, Mittel et Sachsen.

Détachement d'artillerie ouest

· Groupe d'artillerie à longue portée d'Ostende ouest : batteries Deutschland, Hannover, Pommern, Preussen et Tirpitz.

· Groupe de combat avancé de Mariakerke : batteries Aachen, Antwerpen, Beseler, Cecilie, Gneisenau et Oldenburg.

· Groupe de défense portuaire d'Ostende est : batteries Blücher, Eylau, Irène, Hindenburg, Lüdendorff et Schlesien.


3. Défense contre un débarquement

L'artillerie intervenait par :

· canons revolvers de 37 ou 52 mm,

· canons de bord de 60 mm,

· batteries détachées à tir direct de 88 ou 105 mm,

· batteries de 8 lance-bombes à Ostende.

Les canons, isolés ou groupés par 2, 3 ou 4, étaient établis sur tout le front de mer et occupaient de nombreux emplacements le long de la plage. Ils étaient naturellement à pointage direct. Il convient de remarquer que les groupes de batteries reprises respectivement sous les classifications 1, 2 et 3 ci-dessus pouvaient et devaient se soutenir mutuellement.

D'une façon générale, l'artillerie de la défense de la côte ne comprenait que des canons (une seule batterie d'obusiers : Groden) et les 2/3 de ces bouches à feu étaient des pièces de marine à longue portée.

Pour le tir contre les grands bâtiments de haute mer, on devait viser les superstructures, contre les petits vaisseaux on devait viser tout le but. Dès lors on pouvait escompter que les canons de la défense côtière seraient efficaces contre tous les types de navire de guerre.


4. Défense antiaérienne

L'artillerie antiaérienne groupait à proximité du littoral une quinzaine de batteries, lesquelles, à peu d'exceptions près, pouvaient toutes concourir éventuellement à repousser un débarquement. Ces batteries comportaient 2, 3 ou 4 emplacements de pièces et étaient en général armées de 2 canons de 88 mm, de 150 ou même de 170.

Il y avait des batteries contre avions à :

· 1 batterie à Het Zoute,

· 1 batterie à Molenhoeck (Heist),

· 1 batterie sur le môle de Zeebrugge,

· 1 batterie à la darse du canal de Zeebrugge,

· 1 batterie à l'ouest du môle de Zeebrugge,

· 1 batterie "Caesar" à l'est de Blankenberge,

· 1 batterie "Breunhilde" à Uytkerke,

· 1 batterie à l'est de Wenduyne,

· 1 batterie "Zeppelin" à Vlisseghem,

· 1 batterie "Gross-Herzog",

· 1 batterie à la borne 20.500 de la route d'Ostende à Bruges,

· 2 batteries au sud de l'Arsenal maritime d'Ostende,

· 1 batterie à Mariakerke,

· 1 batterie "Mar-Flak" au sud de Mariakerke

· 1 batterie "Kaster"

À Bruges et dans ses environs immédiats, une quinzaine d'autres batteries contre avions assuraient la protection des installations maritimes de cette ville et des refuges pour sous-marins qui y étaient établis.

Des postes de projecteurs, très nombreux, complétaient l'organisation de la défense antiaérienne.

Au total, pour la défense du front de mer, Bruges non compris, une soixantaine de batteries de toute espèce avaient été installées le long du littoral, autrement dit 3 batteries pour 2 kilomètres.

Un grand nombre de ces batteries se sont déplacées, après repérage par l'aviation, telles Zeppelin ou Grossherzog, tandis que d'autres ont purement et simplement disparu.

Des documents anglais ou allemands témoignent de l'existence d'autres batteries. En effet, les cours de fortification belges se basent principalement sur une série de cartes imprimées pour la 4e armée allemande le 1er septembre 1918. Dès lors il est plus que probable que les Alliés en auront fait de même. Comme ces positions n'étaient aucunement similaires aux fortifications terrestres permanentes, de par leur conception, on ne peut qualifier ces constats que de momentanés.

Selon les rapports de la Home-Fleet, celle-ci devait obligatoirement attaquer la côte belge par l'ouest car les Pays-Bas et leurs eaux étaient neutres, donc descendre vers Calais pour être hors de portée de la batterie Pommern et virer de cap vers Ostende ou Zeebrugge.

Les monitors britanniques longeaient, sous couverture fumigène, les bancs de sable des Binnen Ratel, Bree Bank et Buiten Ratel pour arriver au Kwinte Bank mais, dès ce moment, ils devaient essuyer le feu de batteries de 170 ou 280 inconnues, d'origine sud-est, situées entre Westende et Raversijde, qui occasionnaient de nombreux vides.


Cet article a pour but de rappeler la complexité des positions allemandes pendant la Grande Guerre mais aussi de rechercher toutes informations, tels des plans directeurs allemands de la côte, des ordres de bataille ou des journaux tenus par les combattants? pour compléter cette partie de l'histoire.



Bibliographie

Cours de fortification - École militaire belge (Centre de documentation historique de l'armée - Evere).

Cours de fortification - École militaire mrançaise (documents de M. Michel Truttmann, Saint-Denis, France).


Iconographie

Centre de documentation historique de l'armée - Evere.

Musée royal de l'armée / Section iconographique - Cinquantenaire.


Date de mise à jour : Mardi 24 Novembre 2015