Tome II - Fascicule 6 - avril-juin 1984
Pierre TOUSSAINT
Pour ce qui concerne la région liégeoise et faire suite à l'article sur l'organisation défensive de la Belgique, nous renvoyons nos lecteurs à la communication de Gunther SCHALICH, Le "Mémoire Liège", publiée dans le Bulletin du CLHAM, tome II, fasc. 3 de juillet-septembre 1983.
Il s'agit d'une synthèse établie par le Haut-Commandement allemand avant que ne soit déclenchées les hostilités sur le sol belge.
D'autre part l'article de Pierre TOUSSAINT inséré dans Liège, mille ans de fortifications militaires, Liège, 1980, pp. 107-126 donne un aperçu de la situation du fort d'Eben-Emael vue sous l'angle technique.
À noter également une monographie de Henri LECLUSE, Ceux du fort d'Eben-Emael, Liège, 1978, 160 p. qui retrace les événements de 1940.
Par ailleurs, il nous a paru intéressant de communiquer, ci-après, une traduction libre d'un document de propagande allemande relatif à la prise de deux forts de la position fortifiée de Liège : Eben-Emael et Boncelles.
Extrait de : Sieg über Frankreich, Berichte und Bilder, herausgegeben vom Oberkommando der Wehrmacht. Zeitgeschichte-Verlag Wilhelm Andermann, Berlin V/35, s.d., pp. 56-62.
Une des actions les plus remarquables qui aient eu lieu pendant l'offensive initiale sur le front de l'ouest a été la prise du fort belge d'Eben-Emael, au sud de Maastricht, une fortification des plus puissantes du monde. La capture a été effectuée par une attaque combinée de troupes aéroportées et d'unités de l'armée de terre. Pour la réalisation de cette opération d'une hardiesse incomparable, le "Führer" et le Commandant Suprême de l'Armée a attribué la Croix de Chevalier de la Croix de Fer à une série d'officiers et de sous-officiers, dont le Lieutenant-Colonel Mikosch et l'Adjudant-Chef Portsteffen, tous deux d'un bataillon de pionniers qui a participé à l'attaque du fort.
9 mai 1940 dans l'après-midi. Le bataillon de pionniers, de retour d'exercice, rentre dans ses quartiers. Mais il ne s'écoule guère de temps avant que les hommes ne soient de nouveau mis en état d'alerte. Chacun sent que l'ordre qui parcourt à ce moment les quartiers des compagnies est, cette fois-ci, un appel à une action sérieuse.
Le commandant du bataillon, le Lieutenant-Colonel Mikosch, tient en main une lettre cachetée. Il ouvre calmement l'enveloppe. Et d'un air aussi calme, comme il sied à un chef expérimenté, il lit son ordre de mission.
Au soleil couchant, le bataillon quitte son emplacement dans les environs de la ligne Siegfried. En marche vers l'ouest ! Malgré l'exercice fatigant qu'ils viennent de faire, les soldats ne dormiront guère. Car le front les appelle. La colonne s'y dirige de toute la force de ses moteurs.
En route, les chefs d'autres unités se présentent au commandant de bataillon. C'est ainsi que se forme le groupe de combat Mikosch.
Mission : en collaboration avec des troupes aéroportées, le groupe s'emparera du fort d'Eben-Emael.
10 mai 1940. Aux premières heures du jour, les troupes allemandes franchissent la frontière hollandaise, direction : Maastricht. Des unités spéciales formant un détachement avancé forment la tête de la colonne pour s'emparer du pont franchissant le canal Albert près de Maastricht. Des troupes aéroportées tiennent déjà une série de points d'appui sur l'autre rive le long du cours d'eau. La tâche des troupes de l'armée de terre qui sont en marche est de donner la main aux aéroportés. Le groupe de combat Mikosch doit établir la liaison avec les aviateurs qui ont atterri sur les coupoles d'Eben-Emael, le fort le plus puissant de la position fortifiée de Liège, situé à 3 ou 4 kilomètres au sud de Maastricht.
Avant que les troupes allemandes ne posent le pied sur le pont près de Maastricht, celui-ci saute avec une détonation formidable. L'avance marque le pas. Au même moment, un terrible tir d'artillerie se déclenche du fort d'Eben-Emael dans le but d'empêcher les unités allemandes de franchir le cours d'eau, maintenant, chaque minute est précieuse, car les troupes aéroportées qui sont déjà engagées dans de durs combats avec les Belges ont un besoin urgent d'être appuyées. Le lieutenant-colonel Mikosch décide donc de franchir le cours d'eau au moyen de canots pneumatiques. Les batteries de D.C.A. qui accompagnent son groupe se mettent en batterie à l'ouest de la Meuse et appuient l'opération au moyen d'un tir de barrage contre les fortifications belges. Le lieutenant-colonel passe l'un des premiers avec les canots pneumatiques qui sont mis à l'eau dans les conditions les plus difficiles au moyen d'échelles sur les flancs abrupts du canal. Sans arrêt, une grêle de balles et d'obus s'abat sur les hardis soldats, en provenance de l'ouvrage d'Eben-Emael auquel d'autres positions et abris joignent leur feu violent.
Les canots passent, l'un après l'autre, sans se laisser détourner, à travers les projectiles. La première compagnie d'assaut des pionniers, auxquels se sont joints également des fantassins, a atteint la rive occidentale. On réquisitionne tout ce qui se trouve en fait de véhicules et la compagnie se met en route sur des voitures blindées, des chariots et des bicyclettes sur la rive gauche du canal en direction de la pointe nord d'Eben-Emael sous le feu nourri de l'adversaire. Les pionniers progressent en combattant. Les nids de résistance des Belges qui se défendent avec ténacité sont éliminés, les tranchées de leurs positions dépassées et leur contre-attaque est devancée par un assaut. Des destructions routières, d'énormes entonnoirs, des barrages, des champs de mines et, en outre, les tirs ennemis qui deviennent toujours plus violents, entravent la route. Dans le courant de l'après-midi, la tête de la colonne pénètre dans le village belge de Canne. Là-bas, au-dessus des positions ennemies, les camarades des troupes aéroportées sont visibles; elles appuient de toutes leurs forces la progression des pionniers. Par radio, les deux groupes allemands entrent en contact; entre les deux se trouvent les Belges.
Entre-temps, la nuit est tombée. L'ennemi tire des fusées éclairantes et allume des projecteurs ; le combat se poursuit violent et sans arrêt. Malgré le feu violent, dont l'énorme intensité est encore accrue par le fait que les Belges dirigent tout simplement intentionnellement leur tir sur les versants abrupts du canal, de sorte que les obus ricochent dans toutes les directions, quatre compagnies ont passé le canal pour quatre heures de l'après-midi. Le lieutenant-colonel Mikosch donne ses ordres avec le calme de l'officier expérimenté et qui a déjà fait ses preuves au front pendant la première guerre mondiale.
Au sud de Canne, un canal sans issue se détache du canal principal et il constitue, avec une large coupole, à une vingtaine de mètres de hauteur, une protection avant des ouvrages cuirassés d'Eben-Emael. En outre, on a ouvert les écluses et inondé ainsi les seuls chemins d'accès existants et tout le terrain alentour. La compagnie d'assaut engagée contre la pointe nord des fortifications se trouve devant un nouvel obstacle qui apparaît insurmontable. Mais là-bas, sur les coupoles du fort, les camarades de l'aviation attendent. Il faut trouver une solution.
Dans cette situation, un plan audacieux germe dans l'esprit de l'adjudant-chef Portsteffen. Avec 50 hommes choisis, il amène les canots pneumatiques en partie endommagés par les projectiles, les met à l'eau et franchit le terrain inondé en affrontant avec sang-froid le violent tir que les Belges entretiennent à la lueur des projecteurs et des fusées éclairantes. Les hommes atteignent sans pertes les versants d'en face et s'approchent des coupoles cuirassées en traversant le terrain hérissé de dangers. L'adjudant-chef crie le mot de passe et le nom du 1er lieutenant Witzig. La réunion des deux groupes qui a lieu le 11 mai à l'aube, entre 5 et 6 heures, est saluée d'une joie indescriptible.
Pendant 24 heures, les troupes aéroportées avaient tenu tête à l'adversaire et maintenu leurs positions. Pendant 24 heures, les pionniers s'étaient avancés vers eux au prix de durs combats. Ce moment était peut-être celui où, dans la vie de soldats, ils se sentaient les plus heureux et les plus fiers.
Sans plus attendre, l'adjudant-chef Portsteffen engage le combat avec les ouvrages qui continuent à tenir le chemin du canal sous un tir violent.
Armés de charges groupées, les hommes progressent vers les embrasures dans le béton d'où sortent des tubes de canons et des canons de mitrailleuses. L'effet est terrifiant. Les tubes de canons éclatent et les morceaux volent dans toutes les directions, accompagnés d'une pluie de morceaux d'acier, de pierres et de terre. Les détonations se répercutent au loin dans l'air du matin. Saisis d'effroi, les Belges abandonnent leurs abris. Les ouvrages sont éliminés ainsi les uns après les autres. Entre-temps, une deuxième et une troisième compagnies d'assaut ont suivi. Les pionniers et les fantassins progressent pas à pas. L'un après l'autre, les canons cessent le feu. On est en outre parvenu à amener de ce côté du canal six canons anti-chars au moyen de canots pneumatiques; ces canons engagent le combat contre les canons plus puissants des ouvrages et l'emportent.
À dix heures du matin, le groupe de combat Mikosch lance son dernier assaut. À 12 heures 15, le fort d'Eben-Emael se tait et à 12 heures 50, le parlementaire belge apparaît porteur d'un drapeau blanc. Cent adversaires morts et blessés sont étendus parmi les ruines des ouvrages blindés et des abris. Un millier d'hommes sont emmenés en captivité : des hommes abattus, brisés moralement par la violence de l'irrésistible attaque allemande. Une partie de la garnison cherche le salut dans la fuite. Une victoire incomparable a été remportée par quatre compagnies allemandes de pionniers contre une troupe supérieure en nombre (1.200 hommes), contre un ouvrage cuirassé, tout de béton et de fer, équipé d'armes lourdes les plus modernes, et considéré comme invincible, par une troupe décidée de soldats allemands bravant la mort, conduite par des hommes dont le c?ur ne tremblait ni devant la mort ni devant le diable.
Au combat, la mort donne à chacun une chance égale. Des deux côtés du no man's land, les mitrailleurs sont à l'affût et tirent sur tout dos et tout casque qui se montre. Les obus de l'artillerie cherchent leurs victimes dans les deux camps.
Mais ici, devant Boncelles, un des plus puissants ouvrages cuirassés de la ceinture fortifiée intérieure de la ville de Liège, la partie est à 90 contre 10 en faveur de l'adversaire. Les mortiers lourds de notre artillerie déclenchent un tir ininterrompu. Des pionniers risquent leur vie pour amener des charges groupées auprès des coupoles cuirassées. Les corps de fantassins sont étendus devant les réseaux de barbelés. Ils sont tentés de mettre hors combat, au moyen d'un tir direct de mitrailleuse, une des meurtrières crachant le feu. Mais les projectiles ricochent sur le revêtement blindé de la forteresse. Celle-ci ressemble a un animal préhistorique, inquiétant et hargneux. Un monticule de sable gris-vert, dénudé, avec des élévations à peine perceptibles, mais quand on regarde au binoculaire, on voit cet animal qui vit. Brusquement, un blindage en forme de chapeau noir s'élève du fond vert, observe la région pendant quelques secondes et disparaît de nouveau, comme englouti dans le sol. Immédiatement après, une deuxième coupole se soulève rapidement pour envoyer son salut d'acier à notre Infanterie qui encercle le fort de toutes parts.
Des pièces à canon long, des obusiers, des mortiers et des canons anti-chars s'unissent pour envoyer une cloche de feu sur Boncelles. Mais les cuirasses paraissent invulnérables ; l'ouvrage tire de toutes ses coupoles. Et cependant Boncelles doit tomber...
Pendant la nuit, les premières troupes de choc allemandes reconnaissent l'ouvrage. Elles s'avancent jusqu'à 30 ou 40 mètres du versant en pente légère et se risquent alors à bondir jusqu'aux coupoles blindées. Là, le feu de l'adversaire qui se trouve sous terre les atteint. Elles sautent dans les fossés de 20 mètres de profondeur et 20 mètres de large qui entourent la forteresse, s'abritent dans les angles morts pour noter sur des croquis la position des embrasures d'où partent les coups. Mais il n'y a pas ici d'endroit que la gerbe de balles d'une mitrailleuse belge ne puisse atteindre. Des sept hommes du groupe, deux sont tués, un légèrement blessé, les autres ne renoncent pas à leur mission dans cet enfer de feu. Ils rampent vers l'entrée de l'ouvrage principal, évitent par des bonds en zig-zag le canon de 75 qui tire à une distance de 20 mètres.
Ils arrivent tout près de la coupole, de sorte qu'ils entendent à l'intérieur la voix de l'officier chef de pièce qui commande : "Plus à gauche, plus à droite" (N.d.T. : sic en "français"dans le texte). Ils restent pendant sept heures accroupis près de la paroi blindée et attendent les premières heures de l'aube avant que le tir du fort s'apaise. Alors ils reviennent à leur point de départ et font rapport.
Le fort de Boncelles doit tomber ! Heure après heure, le courage indomptable des fantassins talonne les hommes qui sont dans la montagne cuirassée. Les détonations des charges groupées claquent dans la nuit. On fait une reconnaissance de chaque abri, chaque puits, chaque volet d'embrasure. Des croquis hâtivement fait au crayon parviennent sur la table de l'état-major divisionnaire et finissent par constituer une image complète et à l'échelle de l'ouvrage. La reconnaissance est terminée. Et maintenant, l'attaque allemande menée avec tous les moyens va casser les dents du fort.
Les canons lourds, complètement habillés de verdure, et si habilement camouflés que même la plus petite roue brillante est recouverte sont avancés vers les coupoles cuirassées et les tours d'observation. Ils sont à l'affût, à l'abri derrière le dernier rideau d'arbres à l'orée du bois et dans une maison située un peu en avant du village proche. Leur tube est dirigé sur la coupole, lorsque, au moment du coup suivant tiré par la coupole, l'ascenseur blindé de l'observateur apparaît au-dessus de la plaine, et qu'immédiatement après, l'adversaire tire l'obus de 75, les Allemands envoient une réponse d'acier.
Le coup de départ et la détonation à l'arrivée des obus allemands s'unissent en un seul hurlement. La tourelle adverse est touchée; elle ne se montrera plus. Une tourelle d'artillerie du fort de Boncelles se tait.
Mais les hommes dans les casemates souterraines de l'ouvrage ont compris quel dangereux ennemi s'est risqué dans leur voisinage. Ils exploitent leur avantage. La deuxième tourelle d'artillerie se soulève. Pan... Un coup au but frappe les servants du canon allemand proche. Pendant plusieurs minutes, se déroule entre des pièces distantes de quelques centaines de mètres à peine un duel à la vie, à la mort. L'artillerie allemande ne recule pas d'un pas. Elle perd des hommes, mais, visant avec un calme imperturbable, elle force au silence les tourelles adverses les unes après les autres. Ce dont le fort dispose encore maintenant en fait d'armes lourdes, sera détruit le soir par le tir de canons allemands de très fort calibre. La dernière coupole cuirassée, le dernier canon qui a détruit la mise en place de l'infanterie et infligé de lourdes pertes aux éléments les plus avancés, se dessine sur l'horizon, à moitié soulevée, coincée et rendue impuissante par la violence des obus. Boncelles n'a plus d'artillerie.
Mais ceux qui ont édifié la position fortifiée de Liège - ce n'est pas pour rien que la ville s'appelle elle-même "la position fortifiée la plus puissante du monde" - ont prévu une telle attaque concentrée. Aucun fort de toute la ceinture de défense de la ville n'est limité seulement à sa propre résistance. Lorsque, la nuit, de nombreux groupes d'assaut allemands se risquent jusqu'au profond rempart de l'ouvrage, des "montagnes d'obus" s'abattent, sous forme de salves qui se succèdent pendant des heures et qui proviennent d'un ouvrage intact situé sur l'autre rive de la Meuse, sur nos soldats qui sont exposés, comme sur un plateau, au tir ennemi, sans pouvoir se défendre.
Et pourtant, le fort de Boncelles tombera ! La nuit n'a pas encore fait place au jour que, tous, nous levons la tête derrière les pans de murs démolis par l'artillerie dans le village de Boncelles.
Des stukas allemands arrivent. Leurs escadrilles s'approchent de l'ouvrage, passent deux ou trois fois au-dessus de leur objectif, puis se mettent à achever l'?uvre de destruction au moyen de bombes de très fort calibre. De sinistres entonnoirs, d'énormes trous dans la terre, dans lesquels des compagnies tout entières peuvent se mettre à couvert, sont provoqués par les charges de dynamite des bombardiers dans le massif du fort. De la poussière et une fumée de poudre brun-rouge s'élèvent vers le ciel serein. Des réseaux de barbelés s'envolent comme soufflés; des obstacles circulaires en acier sont transformés en boules grotesques par le martèlement des explosifs. Dans toute son étendue, le massif vert est fouillé et labouré jusqu'au plus profond. Pendant six heures, les stukas plongent l'un derrière l'autre, moteurs hurlants. Sans arrêt, les pilotes montent jusqu'à l'altitude d'attaque, puis plongent l'un derrière l'autre comme des rapaces qui fondent sur leur proie. Les unes après les autres, les bombes touchent l'objectif. À 12 heures 30, cela s'arrête. Les stukas se divisent en deux groupes et lâchent leur terrible chargement sur les forts voisins. Autour de Boncelles retentit le tonnerre de détonations. L'infanterie allemande se prépare à l'assaut.
Ce qui suit est l'ouvrage d'une demi-heure. Conformément à un plan mûrement établi, des groupes d'assaut se risquent dans les fossés du fort. Des pionniers font sauter la porte d'entrée. Un canon de fort calibre est avancé jusque devant la porte d'acier de l'ouvrage principal et tire obus sur obus dans les lourdes portes d'entrée. Des salves de mitrailleuses pénètrent dans les embrasures latérales; des hommes des groupes d'assaut bondissent en se cachant jusqu'aux ouvertures crachant des projectiles pour laisser tomber des grenades attachées ensemble à l'intérieur de l'ouvrage. Des détonations sourdes se font entendre à l'intérieur. Dans le fort, un blessé hurle à un point tel que les nerfs peuvent à peine supporter ses cris. Enfin, on parvient, toujours sous le feu de l'adversaire, à pénétrer à l'intérieur de l'ouvrage. De nouveau, des destructions aux explosifs et des mitrailleurs vigilants aident les groupes d'assaut à progresser, jusqu'à ce que les adversaires vaincus sortent du fort et prennent le chemin de la captivité.
"Cessez le feu" ! Dans l'entrée de la hauteur d'un homme et noircie par la fumée, apparaît un canonnier belge, le visage noirci et couvert d'ecchymoses. Ses camarades le suivent. Ce ne sont plus des hommes de ce monde, ces êtres aux cheveux grillés, aux visages jaunes et verdâtres. Il n'y en a presque aucun qui ne soit blessé à la main, au visage ou à l'épaule. Seuls, deux ou trois officiers gardent encore une certaine tenue. Le commandant du fort a trouvé la mort. Une bombe lourde de stuka a percé la couverture blindée, pénétré jusqu'à l'étage inférieur de l'ouvrage et a tué tous ceux des officiers qui se trouvaient réunis en conférence au mess. À cet endroit, on ne peut plus recueillir des morts, tous ont été déchiquetés.
En escaladant les blocs de terre d'un mètre de haut soulevés des profondeurs par les lourdes bombes, nous grimpons jusqu'au sommet du fort. Là se trouvent encore les corps de camarades. Maintenant, nous pouvons les étendre avec précaution sur des civières et leur donner une tombe de soldat. Nous avançons dans les galeries de taupes pleines de fumée de l'ouvrage. Nous montons dans les sombres coupoles et apercevons sous nos yeux la vallée de la Meuse, les charbonnages, les clochers, les églises et les maisons de Liège.
Les assaillants de Boncelles se tiennent sur le terrain fortifié qu'ils ont capturé, le casque repoussé dans la nuque, et font des signes vers le ciel où les stukas passent une dernière fois au-dessus de la vallée ensoleillée de la Meuse, afin de participer à la joie de la victoire qui est aussi la leur. En face d'une prairie en pente, les stukas s'inclinent et plongent jusqu'à quelques mètres du sol. Là se trouvent les restes calcinés de l'appareil d'un de leurs camarades dont la défense anti-aérienne du fort a cisaillé l'aile droite. Le pilote s'est écrasé avec son appareil en feu sous les yeux de nos premiers groupes d'assaut.
Rassemblement ! L'infanterie allemande sort des fossés et entonnoirs de Boncelles. Les uniformes sont déchirés par les barbelés, la sueur ruisselle sur les visages gris de poudre. L'infanterie a vaincu le blindage ; elle a prouvé de quoi les soldats allemands sont capables. À Liège, sur le champ de bataille, le drapeau murmurait : "c'est maintenant ou jamais".
Date de mise à jour : Jeudi 26 Mai 2016
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