Tome II - Fascicule 2 - avril-juin 1983

La Fonderie royale de Canons à Liège

Pierre BEAUJEAN


II y a dix ans disparaissaient sous la pioche des démolisseurs les dernières constructions ayant appartenu à l'ancienne Fonderie de Canons et qui subsistaient à l'intérieur de l'enceinte de l'Athénée Liège 2, au quai Saint-Léonard.

Quantité de Liégeois ont connu cet établissement militaire et des milliers de travailleurs de la région liégeoise en ont franchi le portail. Quelques-uns de ceux-ci font encore partie du cadre de l'Arsenal d'Armement à Rocourt auquel  furent transmises, après la guerre 40-45, les missions de la Fonderie.

L'histoire de la Fonderie remonte au début du XIXe siècle. Le Colonel Wolff, qui en fut le directeur de 1876 à 1885, en a retracé les débuts dans "Liège 1881" :

"La fabrication des bouches à feu, en Belgique, remonte, en quelque sorte, à l'origine de l'artillerie à poudre ; car en 1346, l'année même de l'apparition des premières bouches à feu sur un champ de bataille, on coulait déjà des canons à Tournai. Ces pièces n'étaient encore que de très petit calibre, mais on ne tarda pas à confectionner des bombardes de dimensions de plus en plus exagérées et dont aucune règle précise ne déterminait encore les formes et les dimensions.

"Dès le début, la fabrication des bouches à feu prit dans notre pays beaucoup d'importance. Au XVe siècle, il existait, dans un grand nombre de localités, des fonderies qui jouirent bientôt d'une brillante réputation à l'étranger, et dont les produits s'exportaient au loin, principalement en France et en Angleterre. La fonderie de Malines se distingua parmi les plus renommées ; créée au commencement du XVe siècle, elle acquit une grande célébrité pour la fabrication des bouches à feu en bronze, et ne cessa d'exister qu'en 1775.

"Dans le pays de Liège on comptait, déjà à l'époque de Philippe II, des fondeurs d'une grande habileté ; toutefois, la fabrication des bouches à feu n'y prit de l'extension qu'au commencement du XVIIe siècle, à mesure que se généralisait l'emploi des pièces en fonte de fer, coulées alors directement du haut-fourneau. Elle se concentra dès lors dans les pays de Liège et d'Entre-Sambre-et-Meuse, où l'industrie sidérurgique était particulièrement développée.

L'Arsenal d'Armement, héritier des traditions de la Fonderie Royale de Canons et de la Manufacture d'Armes de l'État.

"Ce rapide coup d'oeil rétrospectif explique comment le premier Consul fut amené, au commencement de ce siècle, à tirer parti des nombreuses ressources de nos provinces pour se procurer le matériel considérable qui lui  était alors nécessaire.

"La Fonderie, créée dans ce but, fut établie à Liège en 1803. L'emplacement choisi était des plus heureux : situé au milieu d'une région  industrielle, au centre d'un bassin houiller, relié par la Meuse et la Sambre aux voies navigables du Nord de la France, il réunissait tous les avantages désirables au point de vue industriel et militaire.

L'établissement fut fondé sur l'emplacement de l'ancien prieuré de Saint-Léonard, par M. Perler, mécanicien, né à Paris, membre de l'Institut national et de l'ancienne Académie des Sciences. Pour installer son usine, le fondateur démolit à peu près tout ce qui restait de l'ancien couvent. Il utilisa seulement les soubassements des épais murs qui longent la rue Saint-Léonard.

L'entrée de l'ex-prieuré flanquée de deux pilastres d'ordre ionique qui servaient de pieds-droits à la porte a subsisté jusqu'il y a peu et l'on pouvait encore, en 1972, en retrouver les blocs de pierre de taille épars dans l'enceinte de l'Athénée. Il avait été envisagé, parait-il, de les réemployer pour la restauration de la Cour des Mineurs.

M. Périer s'était engagé à fournir au Gouvernement 3.000 canons en fonte, de gros calibre, destinés à l'armement de la flotte que le premier Consul réunissait à Boulogne pour sa tentative de descente en Angleterre. Cet industriel reçut, à cet effet, des avances se montant à près de deux millions de francs ; mais, quoique mécanicien d'un très grand mérite, il ne réussit pas dans son entreprise. La fabrication des canons lui étant entièrement étrangère, il ne put surmonter les difficultés qui se présentèrent au début. Il manquait d'ailleurs d'ouvriers expérimentés dans ces travaux spéciaux ; il lui fallut beaucoup de temps pour découvrir du sable convenable au moulage; enfin ce fut seulement après de nombreux essais qu'il parvint à trouver des fontes propres à couler des canons capables d'une résistance suffisante. Ce concours de circonstances fâcheuses l'empêcha de remplir les conditions de son contrat : il dut le résilier. Le Gouvernement ayant pris possession du nouvel établissement, afin de se rembourser de ses avances, ne put trouver un autre industriel assez hardi pour reprendre la succession de M. Périer, et il fut forcé de faire régir la Fonderie de Liège pour le compte de l'État. Il en confia la direction à M. Petit, employé à l'établissement depuis sa fondation, puis en 1807, à M. Jure, officier d'artillerie de marine comme le premier.

À leur administration, on doit l'emploi des premières machines à vapeur rotatives et l'établissement du premier chemin de fer qu'ait vu notre pays. Deux morceaux de rail de ce chemin de fer, qui date de 1808, ont été déposés et conservés au Musée de la Vie wallonne.

Thomassin, en 1808, consacre plusieurs pages du "Relevé statistique du Département de l'Ourte"  à la Fonderie de Canons. On y trouve des renseignements intéressants et certains même, amusants : le personnel comptait 113 personnes ; les salaires payés à chacun sont mentionnés - le maître fondeur gagnait 1.800 francs l'an, le maître foreur 2.400, le potier 450, les garçons de bureau 250 ; le directeur, capitaine d'artillerie était au traitement de 3.916 francs tandis que le régisseur, employé civil, recevait 5.500 francs ; les dépenses de l'établissement pour 1808 s'élevèrent à 472.682  francs 90 centimes dont 258.888 francs 67 étaient consacrés à l'achat de fonte et de fer ; la production fut de 560 canons et caronades pour un poids total de 1.210.717 kilos rapportant 738.537 francs 37 centimes ; le "Devis et les détails estimatifs du prix courant d'un canon de fonte de 24 livres" relève que par exemple les "25 livres de charbon de bois pour faire du noir avec du crottin de cheval, pour enduire l'intérieur des moules coûtent 1,50 franc", qu'il faut 15 centimes de "foin pour tampon et retenir la crasse pendant la coulée" et que la voiture pour conduire les officiers et les régisseurs coûte 5 francs, à répartir sur 10 canons.

En 1811, la Fonderie Impériale de Canons, c'était alors son nom, eut le grand honneur de recevoir la visite de l'Empereur. Il était arrivé inopinément à Liège le 7 novembre à 8 heures du soir avec l'Impératrice. Ils logèrent à l'Hôtel de la Préfecture, l'actuel Musée d'Armes, et le lendemain, à 8 heures du matin, tous deux se rendirent à la Fonderie. On coula une large plaque de fonte portant cette inscription : Napoléon-le-Grand et Marie-Louise ont visité la Fonderie impériale le 8 novembre 1811. L'Empereur permit qu'on fixât cette plaque sur la façade, octroya une gratification d'un mois de solde à tous les ouvriers et quitta l'établissement au milieu d'ovations.

Si Napoléon s'intéressa jusqu'à la fin de son règne à la Fonderie, un de ses défenseurs fut le célèbre physicien Monge, un des fondateurs de l'École Polytechnique, qui accompagna Bonaparte en Egypte. Il était à cette époque sénateur et représentait le Département de l'Ourthe. En cette qualité,il avait sa résidence au château de Seraing.

Il est amusant de retrouver aux Archives de l'État des lettres échangées entre le Directeur de la Fonderie, le Préfet du Département de l'Ourthe et le Ministre de la Marine et des Colonies. On peut, par exemple, y prendre connaissance de quelques incidents qui émaillaient, à l'époque, l'existence de la Fonderie.

1.   Un  incendie  en  1804

Lettre datée du 3 Messidor, an 12 de la République, adressée par le Ministre de la Marine et des Colonies au Préfet du Département de l'Ourthe remerciant celui-ci du soin qu'il a pris en rendant compte de l'incendie qui s'est manifesté dans un des hangars de la Fonderie.

"Je vois avec d'autant plus de peine cet événement, qu'il apportera encore, sans doute, de nouvelles entraves à l'exécution des bouches à feu ordonnées dans cette fonderie pour le service de la Marine" écrit le Ministre Denis qui ajoute : "Sur toute chose point de couverture en chaume dans une fonderie." Le préfet a noté dans la marge : "Faire observer au Ministre que lors de la construction de ce hangar, j'avais fait remarquer le danger résultant de la proximité des fourneaux et de la couverture, mais que n'ayant aucun ordre à donner dans un établissement qui n'était pas sous ma surveillance, ma remarque n'avait eu aucune suite." 

2.   Le vol des boulets

Lettre du 14 avril 1808 adressée par le Capitaine d'Artillerie Jure,  Inspecteur de la Fonderie de la Marine Impériale au Préfet du "Département de l'Ourthe" :

"Monsieur le Préfet,

"Depuis quelques temps, quelques habitants des environs de notre champ d'épreuve d'Herstal, vont la nuit à la butte de ce champ d'épreuve déterrer les boulets et les vendent à des marchands à Liège.

"J'ai déjà fait connaître ce délit à Monsieur le Magistrat de Sûreté, et 78 boulets ont été saisis chez deux de ces marchands."

Le Capitaine Jure demande au Préfet de prendre un arrêté et termine :

"J'ai l'honneur de vous supplier, Monsieur le Préfet, de prendre les mesures que vous croirez nécessaires pour empêcher le vol de ces boulets qui appartiennent à la Marine de Sa Majesté Impériale et Royale."

L'arrêté pris par le Préfet ne fut sans doute pas suffisant car, le 30 mai 1812, le même Capitaine Jure écrivait au Préfet, le Baron Micoud d'Umons :

"J'ai  l'honneur de vous adresser ci-joint l'extrait d'une lettre de Monsieur Courard, Maire de Herstal. Ce Magistrat croit que si on lui fournissait dix gendarmes le soir où nous faisons une épreuve, il pourrait faire saisir quelques individus qui viennent la nuit voler les boulets restés dans la butte. J'ai  l'honneur de vous prier, Monsieur le Baron, d'avoir la bonté d'ordonner que dix gendarmes soient envoyés à Herstal aux ordres de Mr Courard, le 2 juin à onze heures du soir. Je ferai une épreuve ce jour-là."

3.   L'incident "Pauline Borghèse" qui nous est relaté par Théodore Gobert dans Liège à travers les âges

Un incident, mesquin en soi, qui se rapporte à l'année inaugurale de la direction Jure à la tête de la Fonderie, montre la platitude empressée des différentes autorités de ce temps-là vis-à-vis de la famille impériale.

La princesse Pauline Borghèse, soeur de Napoléon, s'était acheminée vers Chaudfontaine en septembre 1807. Toutes les Autorités furent mises en branle.  Le général Verger Desbarreaux commandant les troupes du Département de l'Ourthe eut à s'occuper de préparer les voies pour l'arrivée de la Princesse. Il en avertit le Préfet par la missive suivante datée du 26 septembre :

"Monsieur le Préfet,

"J'ai l'honneur de vous prévenir que S.A.I. la Princesse Borghèse se rend demain matin à 8 heures à Chaudfontaine pour y prendre les bains et continuera tous ces jours suivants ce genre de traitement.

La princesse est prévenue que le chemin est mauvais et cahoteux dans quelque endroit et m'a chargé de vous inviter à  le faire raccommoder soit en faisant jeter du sable ou de la terre dans les lieux qui sont dégradés ; elle désire aussi qu'il soit transporté à Chaudfontaine, chez le Sieur Picard, 6 boulets de 6 et une pince pour les tirer du feu ; ces boulets doivent être rougis à Chaudfontaine pour réchauffer l'eau du bain de la princesse.

Je vous prie, Monsieur le Préfet, de vouloir bien de suite ce soir donner vos ordres pour que le désir de S.A. soit rempli ; je dois la précéder demain matin pour m'assurer si le chemin est convenable."

Le préfet Micoud d'Umons ne pouvait manquer de mettre beaucoup d'empressement à satisfaire "au désir de S.A.". Le soir même, à 9 heures, il expédiait à l'ingénieur et au directeur de la Fonderie, une dépêche pour que l'on procédât aux envois réclamés.

Dès le lendemain à 6 heures du matin, le Directeur de la Fonderie, le Capitaine d'Artillerie Jure, faisait connaître au Préfet la suite donnée à cette grave affaire.

"Monsieur le Préfet,

"Je reçois à l'instant votre lettre de hier soir. Je n'ai point de boulets de 6, mais je pense que pour l'objet dont il  s'agit, les  boulets de 8 seront meilleurs ; je vais faire forger une pince pour les saisir et aussitôt qu'elle sera prête, je les enverrai à Chaudfontaine.

Je pense qu'ils y seront avant 9 heures.

J'ai l'honneur d'être avec respect, Monsieur le Préfet, votre très humble et très obéissant serviteur".


Sous le Consulat et l'Empire, la Fonderie fabriqua environ 7.000 bouches à feu, de tous calibres, tant pour la marine que pour les batteries de côte.

Pendant cette période, les besoins étaient pressants, et les procédés de fabrication beaucoup moins perfectionnés que de nos jours ; aussi, grand nombre des pièces reçues à cette  époque, étaient défectueuses et seraient certainement refusées aujourd'hui.

En 1814, lorsque les Français durent évacuer Liège, ils ne voulurent pas que la Fonderie pût fournir des armes à leurs ennemis ; ils emportèrent les cylindres des machines à vapeur, les arbres des foreries, et beaucoup d'autres objets indispensables et d'un remplacement long et difficile.

Aussitôt que le royaume des Pays-Bas eut été constitué, le Gouvernement du nouvel État songea à utiliser la Fonderie de Liège pour la fabrication des bouches à feu en fonte et des projectiles nécessaires aux colonies. Dès le commencement de 1816, la Fonderie fut réorganisée et placée sous la direction du colonel d'artillerie Huguenin, qui en resta le directeur jusqu'en 1830.

Le Musée de la Vie wallonne détient le manuscrit d'un rapport de Van Swieten, capitaine au Régiment wallon qui donne, à l'intention du roi des Pays-Bas "quelques renseignements sur la Manufacture d'Armes de guerre, la Fonderie de Canons et quelques établissements existant dans le Département de l'Ourthe et peu connus en Hollande" et qui complète son exposé par un "Article essentiel sous le rapport du rétablissement de cette fonderie".

Aux Archives de l'État, est conservée la copie de la décision de Guillaume d'Orange, au vu du rapport du Lieutenant-Général Du Pont, de créer une commission chargée d'examiner de quelle façon il serait le plus utile  d'employer la Fonderie de Canons de Liège.

S'y trouve également, I'"Inventaire Général des machines à vapeur, modèles en bois et objets divers existant à la Fonderie de Liège au 10 juin 1815" établi par le Sieur Doutrewe, ancien "employé comptable et dessinateur des constructions d'art" et contresigné par le concierge Bicheroux.

Par une lettre du 5 septembre 1815, le Sous-Intendant de l'Arrondissement de Liège, demande d'ailleurs au Commissaire Général de S.M. le Roi des Pays-Bas le maintien de M. Bicheroux à l'emploi de concierge sous le nouveau régime et transmet avec son approbation, la note des frais réclamée par M. Doutrewe pour la rédaction  de  l'inventaire. Ce travail qui avait duré dix jours plus deux jours pour la "mise au net de l'inventaire" et avait nécessité l'emploi d'un homme de peine pour "remuer les objets" a coûté 135 francs.

Grâce aux efforts du Colonel Huguenin, les travaux reprirent bientôt activement. De 1816 à 1830, l'établissement produisit, pour l'État, plus de  4.000 bouches à  feu diverses, une grande quantité de projectiles, des flasques d'affût en fonte, etc., et pour des particuliers, un certain nombre de pièces destinées à l'exportation.

De 1816 à 1830, les procédés de fabrication reçurent d'importantes améliorations ; des perfectionnements successifs furent aussi apportés aux installations et à l'outillage. On établit des cubilots pour la coulée des projectiles et d'autres objets de matériel en fonte ;  une nouvelle machine à vapeur de la force de 20 chevaux, avec soufflerie, fut installée pour fournir le vent nécessaire à ces cubilots et aux forges. Jusqu'alors, ces dernières avaient été alimentées en air au moyen de pompes à main.

D'importantes expériences eurent lieu pour déterminer les fontes les plus propres à la fabrication des bouches à  feu et les conditions à imposer pour leur réception.

Le mélange adopté pour la coulée des canons se composait de fonte indigène de première fusion, provenant des hauts fourneaux au bois du pays, de fonte à canon de Suède et de fonte de deuxième fusion en masselottes ou tronçons de canon.

Dans Si Liège m'était conté de mars-avril 1973, M. Jean Brose relate la contestation qui opposa pendant la période 1827 à 1830, le Ministère de la Guerre et John Cockerill.  En mars 1827, le Ministre donnait l'ordre de faire ériger une fabrique de fer dans la Fonderie et pour un fonctionnement optimal, John Cockerill fournissait une machine à vapeur par contrat du 31 mai 1827. Mais bientôt, pour des motifs obscurs, Cockerill refusait la fourniture. Un échange de correspondance, auquel le Roi Guillaume lui-même participait, fit apparaître que l'industriel avait peur que la Fonderie ne fasse concurrence à son propre établissement à Seraing. En juin 1830, on arrivait à un compromis, la Fonderie ne fondrait pas du fer en barre, mais elle refondrait seulement. Après cet  accord, Cockerill était prêt à fournir la machine. La Révolution de 1830 ne permit pas que les clauses de ce contrat soient exécutées. Les travaux furent interrompus mais l'activité reprit dès les premiers mois de l'année 1831. Le Gouvernement belge confia la direction de la Fonderie au major Renault ; puis, peu de temps après, au capitaine Fréderix, qui était attaché à l'établissement depuis dix ans.

Depuis 1831, l'établissement a fourni, pour le service de l'État, un grand nombre de bouches à feu lisses en fonte, de tous calibres.

Jusqu'en 1835, la Fonderie ne s'était occupée que de la fabrication des pièces en fonte ; celle des bouches à feu en bronze y fut installée durant cette année.

Mais l'établissement était loin de se borner à fournir des canons ; il confectionna des quantités considérables de projectiles - boulets, shrapnels, boites à balles, obus et bombes - nécessaires pour l'approvisionnement des bouches à feu lisses citées plus haut, de création nouvelle pour la plupart, et dont les tracés avaient été établis par la Fonderie. Tous les objets en fonte et en bronze, un grand nombre de ceux en fer destinés au matériel de l'artillerie, les modèles, l'outillage et les machines diverses nécessaires à sa fabrication, des voitures de campagne, un équipage de pont, etc., furent construits dans ses ateliers.

La réunion, dans un même établissement, de fabrications aussi variées, les qualités des produits obtenus, les soins apportés à leur exécution, firent bientôt de la Fonderie de Liège un établissement unique en son genre, dont la réputation devint européenne. Aussi, divers États qui ne possédaient pas de fonderie pour la coulée des bouches à feu en fonte, s'adressèrent au Gouvernement belge.

Le "Mortier monstre", invention du Général français Paixhans, fondu à Liège, fut employé au siège de la Citadelle d'Anvers en 1832. Ses bombes de 500 kilos produisirent de terribles effets dans la citadelle et contribuèrent à la reddition de la place. Ce canon, auquel la foule s'intéressa beaucoup, fut ensuite ramené à Liège et déposé à la Fonderie

À partir de 1840, la fabrication pour l'étranger prit un développement considérable et imprima aux travaux une activité aussi avantageuse à l'établissement qu'à l'industrie métallurgique du pays. La Fonderie eut à exécuter des commandes importantes de bouches à feu et de projectiles pour la Bavière, le Danemark, l'Egypte, les États-Unis de l'Amérique du Nord, l'Espagne, la Hollande, les forteresses fédérales d'Ulm, de Rostadt, de Mayence, la Prusse et pour divers particuliers.

À cette époque, la Fonderie comprenait les locaux et les installations ci-après :

Deux grands ateliers de fonderie, dans chacun desquels se trouvaient six fourneaux à réverbère ; l'un de ces ateliers était affecté au moulage et à la coulée des bouches à feu, et renfermait deux étuves, des fosses à couler et à mouler desservies par trois grues.

L'autre fonderie, destinée à la fabrication des projectiles et des menus objets, possédait, outre les six fourneaux à réverbère, deux cubilots, deux fourneaux pour fondre au creuset, une grue et deux étuves.

Une forerie contenant quatorze bancs de forage, une machine à tourner les tourillons, un tour à canons, etc. Un atelier pour le centrage des bouches à feu. Les pièces y étaient conduites par un chemin de fer partant de la fonderie. Là, elles  étaient  ensuite enlevées par un chariot à treuil, roulant sur un chemin de fer établi à quatre mètres de hauteur, et traversant les ateliers de centrage et de forage ; transportées ainsi aux places mêmes où elles devaient être centrées, forées, tournées, etc.

Un atelier de tours et de machines diverses.

Une forge où se trouvaient quatorze feux, un four à réchauffer ou à puddler et un martinet.

Un atelier de menuiserie et de charronnage.

Divers ateliers affectés à des services accessoires, tels que : préparation des sables, terres et matériaux pour le  moulage, fabrication des briques réfractaires, etc.

Enfin divers locaux servant de magasins, bureaux, laboratoires de chimie, bibliothèque, etc.

Trois machines à vapeur de la force de 60 chevaux mettaient en mouvement les machines diverses.

Telle était la Fonderie, lorsqu'en 1849, S.M. Léopold Ier l'honora d'une visite.

La Gazette de Liège du 15 juin 1849 relate que le Roi fit distribuer 5.000 francs aux ouvriers d'une dizaine d'établissements liégeois dont la Fonderie de Canons.

À cette époque, la Fonderie avait introduit dans ses ateliers tous les perfectionnements dont était susceptible la fabrication des bouches à feu lisses, se chargeant par l'avant.

De 1850 à 1860, la prospérité de l'établissement se maintint.

Vers 1860 une révolution profonde se produisit dans le mode de construction et dans le tracé des bouches à feu : l'emploi de l'acier comme métal à canon et l'adoption, par notre artillerie, de bouches à feu rayées se chargeant par la culasse, ont entraîné des modifications radicales dans les procédés de fabrication en usage jusqu'alors, l'installation  de nouveaux ateliers et de nouvelles machines.

La Fonderie ne réussit pas moins bien les oeuvres d'art. Elle a coulé la statue en bronze de Rubens, placée à Anvers, celle élevée à Grétry par la Ville de Liège, les statues des Libertés du piédestal de la colonne du Congrès à Bruxelles, les grands trophées en fonte qui ornent les portes de l'enceinte d'Anvers, deux des colossales statues assises qui surmontent le Palais de Justice de Bruxelles, la "Clémence et la Force" dont la hauteur atteint 5 m 50, les groupes représentant le "Cheval de Halage" et le "Dompteur" qui décorent les Terrasses d'Avroy à Liège.

De 1860 à 1870, la Fonderie a créé toutes les bouches à feu rayées en fonte et en bronze, nécessaires à la défense de nos places fortes ; achevé tous les canons de campagne rayés se chargeant par la culasse. Elle a de plus, fabriqué une partie considérable des projectiles nécessaires à l'approvisionnement de ces diverses bouches à feu.

Aussi, loin de pouvoir accepter des commandes de l'étranger pendant cette période, la Fonderie a dû confier à l'industrie privée la fabrication du complément de cet approvisionnement.

Selon l'almanach de l'Armée Belge de 1861, la Fonderie de Liège pouvait à cette époque, fabriquer par an 600 bouches à feu minimum avec son personnel habituel qui comprenait 6 officiers, des miliciens admis par  faveur et "145  bourgeois et paysans".

Théodore Gobert dans Liège à travers les âges. Les rues de Liège, édité en 1925, parle ainsi de la période qui suivit :

"II y a nombre d'années, entraîné par l'amour de la nouveauté, l'État belge crut devoir se munir de canons en Allemagne. Notre Fonderie de Saint-Léonard lutta, avec vaillance. Unissant ses efforts à ceux de la Société Cockerill, qui fournit les pièces à l'état brut, elle put établir aux yeux de tous, qu'on avait mal jugé de ses propres moyens, de son génie créateur, qu'elle était à même de se mesurer avantageusement avec n'importe quelle fabrique étrangère.

"Afin de maintenir la Fonderie Royale à la hauteur de sa mission, la direction présente a dû apporter d'importantes transformations, avec application des derniers perfectionnements techniques. Sans doute, le nom de Fonderie de canons est suranné. En réalité, on n'y coule plus aucun canon. Les ateliers de coulage ne fournissent guère que des projectiles et les accessoires des pièces. L'usine est cependant aménagée et outillée pour achever de très nombreux canons avec tous leurs assortiments d'affûts et de projectiles.

"Elle dresse également les ajusteurs qu'exigent les batteries de campagne. Elle s'est spécialisée dans l'exécution des réparations de tout le matériel d'artillerie proprement dit et dans la fabrication des projectiles qu'elle fond elle-même ou tire par emboutissage et étirage des lopins d'acier lui fournis par l'industrie privée liégeoise. De plus, elle établit les tracés puis exécute le matériel d'études de toutes pièces répondant aux exigences nouvelles"

En août 1914, le personnel de la Fonderie fut transféré d'abord à Anvers, puis au Havre. Les Allemands occupèrent les locaux de la Fonderie et en enlevèrent toutes les machines importantes, ne laissant que quelques vieilles hors d'usage.

Heureusement, le directeur, le Colonel Wilmet put ramener à Liège en 1919, les machines perfectionnées qui avaient été acquises et utilisées au Havre pour alimenter notre armée de l'Yser en matériel d'artillerie.

Pendant la guerre 14-18, les ouvriers de la FRC, transférés au Havre, avaient la lourde tâche de remettre en état le matériel détruit en campagne.

Entre les deux guerres, la Fonderie maintint toute son activité pour doter l'Armée belge de matériel moderne. C'est ainsi qu'elle conçut et exécuta des canons antiaériens, des canons antichars de 47 mm, un canon de 120 à grande puissance, un canon antichar de 60 mm, un mortier d'accompagnement de 76 mm démontable en colis transportables, permettant indifféremment le tir plongeant et le tir tendu. Le canon de 47 mm, monté sur chenillettes Vickers Garden Lloyd Mark 6 constitua, semble-t-il, le premier chasseur de chars du monde. La Fonderie avait en outre la lourde mission de fournir tout le matériel de nos forteresses de l'Est, soit en créant des types nouveaux de coupoles cuirassées et de canons de casemate, soit en appropriant et modernisant du matériel ancien. Au moment de l'entrée en guerre, l'effectif s'élevait à environ 1.800 personnes.

 En 1937, il fut question de déplacer la Fonderie vers la partie flamande du pays. Les ordres furent donnés pour replier  la Fonderie en trois échelons successifs vers Gand. Les réactions furent vives au sein du Conseil communal de Liège. Un ordre du jour fut déposé : Considérant que la Fonderie Royale des Canons appartient historiquement au patrimoine industriel du Pays de Liège, que la population qui y consacre son activité, soit directement, soit indirectement, est liégeoise ; que ce transfert dans une région flamande, outre qu'il priverait l'établissement lui-même d'une main-d'oeuvre particulièrement qualifiée dans la fabrication des armes, porterait atteinte aux intérêts légitimes de la Cité [...] émet le voeu, sous la forme la plus énergique, que le Gouvernement maintienne à Liège, dans son cadre traditionnel, la Fonderie royale des canons."

Le Député Truffaut, échevin de la ville de Liège, écrivit au Ministre de la Défense nationale, le Lieutenant-Général Denis et l'ordre d'exécution qui était encore confirmé dans une note du M.D.N. le 2 juin 1937, était annulé le 22 du même mois.

En 1940, le personnel fut évacué d'abord à Bruges, puis en France, d'où il fut rapatrié en septembre 1910. Les Allemands occuperont une nouvelle fois les locaux du quai Saint-Léonard.

En 1945, dès la libération du territoire, le personnel de la Fonderie de Canons fut réadmis en service progressivement, suivant les nécessités. Mais petit à petit, la caserne de Recourt, commencée en 1938, accueillit les ateliers et les bureaux ; et la Fonderie se vida.

En 1949, la Fonderie de Canons cessait d'être un établissement militaire.

En 1962, on commença à démolir les vieux bâtiments afin de bâtir les pavillons de l'Athénée Liège 2.

En août 1973 le dernier bâtiment de l'ancienne F.R.C. disparaissait. Il avait servi jusqu'au dernier moment d'habitation au "concierge" de l'école.

Cependant un symbole de la F.R.C. accompagne encore les "Anciens" qui travaillent à Rocourt : la couronne qui surmontait l'entrée de !a Fonderie au quai Saint-Léonard est actuellement exposée dans les locaux de l'Arsenal d'Armement.

Ainsi donc, si depuis le début du siècle, l'appellation "Fonderie de Canons" est surannée, et s'il faut qu'actuellement les  établissements militaires quittent !e centre des villes, l'ordre du jour du Conseil communal de Liège de 1937 est resté d'application : "l'Arsenal appartient historiquement au patrimoine industriel du Pays de Liège"

À l'entrée de la F.R.C. étaient placés verticalement deux canons qui servaient de "chasse-roues". Une lourde couronne en fonte surmontait la grille d'entrée. Lors de la démolition, aucun organisme officiel de l'époque n'ayant manifesté d'intérêt pour ces objets, les "Domaines" les proposèrent en vente publique le 28 janvier 1963. Les objets furent adjugés à la société TRANSCOM. En 1967, un officier du 19e Bataillon d'Artillerie à Cheval stationné à Düren cherchant des armes du passé, obtint du propriétaire le prêt de ces objets. Les deux canons ont été placés sur des socles en béton devant un bâtiment à usage général et la couronne a été scellée sur un bloc au centre de la pelouse  d'honneur.

En 1972, au moment où l'Arsenal d'Armement voyait la réalisation des promesses d'une grande expansion par  l'intégration de l'Arsenal du Charroi à l'Arsenal d'Armement, son Chef de Corps désira que la très longue  tradition de  l'établissement soit matérialisée par des emblèmes de la Fonderie. Il n'a pas été possible de retrouver la plaque inaugurée par Napoléon en 1811 mais le 19e Artillerie à cheval a bien voulu se séparer de la couronne et la firme propriétaire a consenti à son transfert à Rocourt.

Les canons, quant à eux, ont été emportés à Siegen par le 19e Artillerie à cheval ayant changé de garnison entre-temps.


Date de mise à jour : Mercredi 28 Octobre 2015