Scoutisme & guerre

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Le scoutisme et la guerre dans un village du namurois

André Gany

1. Introduction

En 1937, alors que se profile à l'Est la montée du péril, c'est surtout la guerre d'Espagne qui fait l'objet des discussions des Flawinnois. Cela ne va pas sans influencer le scoutisme. Ne voit-on pas un canevas de jeux proposé aux scouts s'inspirer très largement des combats entre les troupes de Franco et les communistes ? Les têtes de chapitres, qui correspondent chaque fois à un ensemble de jeux de plaine ou de bois, ne laissent aucun doute sur la manière de voir des chefs scouts de l'époque. Lisons plutôt :

"Vu en Espagne"

- Les communistes occupent la forteresse de Iruns; les patrouilles scoutes la recherchent. (Jeu d'orientation et lecture de cartes)

- Dans la forteresse, ils ont des prisonniers et les gardent, (Jeu de passage silencieux, gymnastique au sifflet)

- Ils donnent une mauvaise éducation à leurs enfants, (Concours de feux)

- On annonce l'attaque de Irun. (Jeu de gendarmes et de voleurs)

- Les rebelles sont pris au piège, (Jeu de message caché, jeu d'approche, …)

- Le calme renaît après la bataille ... on rétablit la religion (sic !)

C'est vers cette époque qu'est entreprise la construction de la caserne de Flawinne destinée au Régiment d'artillerie des Chasseurs ardennais. On en trouve un écho dans une lettre adressée à l'Abbé Burteau (aumônier de l'unité scoute), le 26.11.37, par le docteur Ringlet, commissaire de district de Namur. On y lit ce qui suit :

"Si vous avez encore un peu de patience, vous pourrez peut-être bien recevoir un coup de main inattendu : il y a paraît-il dans les soldats qui seront casernés à Flawinne, un certain nombre de scouts et d'anciens scouts; peut-être trouverez-vous là une aide imprévue ?"

Cette possibilité ne débouchera cependant sur aucun résultat concret.

Le problème des chefs cette fois-ci, comme souvent, sera toujours présent.

La mobilisation de l'Armée belge, début septembre 39, va priver l'unité scoute de la plupart de ses chefs ainsi que de l'aumônier.

Ce départ va évidemment créer un sérieux problème d'encadrement auquel le staff s'efforcera de remédier par un solide programme de formation des CP (chefs de patrouille) et leur implication dans la préparation des réunions.

C'est ainsi que, dans une circulaire datée du 18 février 1940, l'aumônier incite les jeunes CP à se conduire en vrais chefs :

"Mettez-vous bien dans la tête que les scouts ne se conduisent pas eux-mêmes, tout comme les milliers de soldats que vous voyez autour de vous ne se conduisent pas eux-mêmes» mais si l'armée est disciplinée, si elle marche bien, c'est parce qu'elle est conduite et bien conduite !"

2. Mai 1940

Nous savons assez peu des événements de mai 40, sauf que l'Aumônier Burteau vivra l'invasion au fort de Maizeret et le Chef de troupe, Jean Dury, au fort de Suarlée.

Quant aux locaux, ils seront mis à sac. Ce fait est confirmé par une note adressée par J. Dury à la Feldkommandantur de Namur le 28 juillet 41 (voir ci-après) ainsi que par une demande adressée à la même époque par Ch. Melebeck à un de ses amis scouts pour obtenir des gamelles et des cartes topographiques, tous objets devenus introuvables à ce moment (voir également ci-après).

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Plan de Flawinne et des environs (Echelle 1:50.000)

A remarquer les châteaux "des Quatre Seigneurs" et "de Flaminne" ainsi que la gare de formation de Ronet dont question dans l'article. On y voit également les forts de Suarlée et de Malonne.

3. La reprise des activités

Le retour de captivité de l'Abbé Burteau en décembre 40 va permettre la reprise progressive des activités scoutes. Quant à l'équipe de routiers rattachée au Clan central de Namur avec une équipe de St-Servais, elle reprend ses activités dès février 41. Il s'agit essentiellement de réunions au local du patronage et de sorties dans les villages des environs : Marche-les-Dames.

Suarlée, Floreffe, relatées avec précision dans le Tally du Clan du Chêne. (*)

(*) Tally : livre de bord, journal

Les allusions aux événements de 40 ou aux faits de guerre y sont rares.

Relevons-en deux : tout d'abord cet extrait du compte-rendu d'une sortie à Marche-les-Dames le 23 février 1941 : "Les plus débrouillards ont déjà mis l'allumette au bois résineux. Pendant ce temps, il ne cesse de passer des trains de troupes et de munitions."

Et cet autre extrait d'un compte-rendu de WE à Suarlée les 29 et 30 mars 1941 : "Au milieu du bois (de la commune), nous faisons un petit arrêt pour regarder les restes de munitions et de vivres qui ont été incendiés par les soldats français."

La troupe reconstituée dès le début de l'année 41 ira cantonner quelques jours au Château de Mielmont sous la houlette de Jean Dury (chef de camp) et de Ch. Melebeck (assistant de camp).

4. L'âge d'or

Au départ, l'année 1942 se présente plutôt mal ! Déjà marquée par un hiver rigoureux qui a rendu toute activité impossible jusqu'au 15 mars, elle voit également s'amplifier les épineux problèmes de ravitaillement. Partir au camp devient une gageure. Chacun se doit désormais d'apporter ses propres provisions à l'intendant de service. Et encore s'arrange-t-on pour atterrir auprès d'une ferme, là où l'achat de lait est plus facile.

C'est ainsi que le programme du WE de Pâques (3 jours) organisé par la Troupe, mentionne in extenso les vivres qui sont à emporter par chaque scout : "1 pain - 1,5 kg de pommes de terre - 1 livre de carottes - 3 poireaux - 1 céleri - 1 livre de navets - 1 livre de rutabagas. Beurre - margarine - confiture. 50 gr de gruau d'avoine - 100 gr de succédané de café - 10 morceaux de sucre – sel"

Ces prestations en nature vont perdurer jusqu'en 1947, se complétant certaines années de l'obligation de fournir également des timbres de ravitaillement pour le pain ou la viande.

Mais l'on retient surtout de 1942 que ce fut l'année de renouveau pour l'unité scoute dans son entier.

Sous l'impulsion de Jean Dury, chef d'unité, une vaste campagne de recrutement va être lancée, qui portera rapidement ses fruits; les chiffres repris à l'état des effectifs pour l'année 1942 en témoignent éloquemment. Dès cette même année 1942, chacune des sections revigorée par un afflux de sang neuf et conduite par des chefs de valeur va redécouvrir et vivre le grand jeu scout avec toute l'ardeur de la jeunesse.

Il peut paraître étonnant, après coup, de voir s'épanouir un scoutisme à la fois joyeux, entreprenant, dynamique, profondément belge et authentiquement chrétien, à une époque apparemment aussi peu propice.

Il est pourtant bien vrai que ces années de guerre vont constituer pour le scoutisme flawinnois comme pour la plupart des unités scoutes du royaume, une des périodes fastes de leur histoire. Cela tient à plusieurs raisons :

- L'absence de toute autre distraction d'abord ! Les jeunes en sont réduits à l'écoute de la radio, aux séances hebdomadaires du cinéma Flawinavox et aux rares pièces de théâtre à la salle Talhia ou chez Solbreux.

Rejoindre Namur, c'est toute une expédition ! On a le choix entre le tram 9, Namur-Onoz. à prendre "Au marronnier", le tram 4, Namur-Malonne, à prendre à Beauce, ou le train, à prendre en gare de Flawinne, à moins que l'on ne préfère le vélo ou ... la marche à pied.

Faire du scoutisme, c'est donc d'abord s'occuper sainement et intelligemment, c'est un peu prendre en main sa destinée.

- Il y a aussi sur notre sol la présence de l'occupant allemand avec toutes les contraintes que cela implique : contrôle des activités, restrictions au port de l'uniforme, limitation du droit de camper en forêt, etc. et les réactions quasi automatiques que cette présence suscite.

Etre louveteau, scout ou routier, c'est inconsciemment sans doute, une sorte de refus de l'asservissement, une revendication à l'autonomie, au respect, à la liberté; c'est une affirmation de son appartenance à la communauté belge ... Je n'en veux pour exemple que le soin apporté lors de camps à vivifier la fibre patriotique (voir cérémonial ci-après).

Et aussi ce souci de chacun, du petit louveteau au routier chevronné, de porter un uniforme impeccable et de manifester ainsi son appartenance à une équipe dont il est fier.

Qui dira pourtant la peine que se sont donnée les parents pour acquérir la laine, tricoter le pull vert du petit loup, coudre les écussons achetés chez Dermine Sports ... en ces temps où survivre était la seule vraie préoccupation fondamentale.

- Il y a enfin l'incertitude des temps ...  Pourrons-nous encore subsister demain ? Que deviennent nos prisonniers de guerre en Allemagne ?

N'allons-nous pas perdre la vie dans les bombardements ? ...

A toutes ces questions angoissantes, le scoutisme apporte sa joie de vivre, la confiance en sa propre destinée en référence constante à la foi chrétienne. Ces preuves de foi se manifestent particulièrement, lors des camps d'été où la messe quotidienne et matinale rassemble les scouts et leur aumônier autour de l'autel en woodcraft. C'est la potale installée à l'entrée du camp. ou le mot de l'aumônier à la veillée ou au feu de camp.

C'est aussi cette piété sincère des routiers qui s'exprime ça et là au travers des comptes-rendus d'activités ...

"A la chapelle du Pyrois que nous visitons, nous récitons la prière d'équipe et une prière pour les prisonniers de l'endroit." (Malonne 1944)

"Après s'être réchauffés, nous assistons tous à la grand'messe de 11 heures. Nous sommes dans le choeur et très regardés par les gens de Suarlée. (Suarlée 30 mars 1942)

C'est cette messe de minuit (pratique par ailleurs interdite par l'occupant), qui rassemble l'unité scoute au grand complet dans la Chapelle du Château David (voir plus loin le truculent compte-rendu de cette activité).

C'est encore cette potale à Notre-Dame installée à l'entrée du chemin d'accès du château des 4 Seigneurs, un beau jour d'août 1944, qui voit affluer les gens des Comognes et de la Leuchère pour le chapelet quotidien en fin d'après-midi.

C'est enfin cette consécration à Notre-Dame de l'Assomption, patronne de l'unité scoute, prononcée en grande pompe le 15 août 1944. en l'église paroissiale de Flawinne.

5. 1944 - L'époque des grands bombardements de Ronet

Dès 1e mois d'avril 1944, les bombardements désormais réguliers de la gare de Ronet vont modifier considérablement la vie des Flawinnois. Les familles sinistrées de Ronet et d'autres qui craignent pour leur sécurité vont émigrer vers les zones plus calmes des hauts de Flawinne : Comognes, Leuchère, Crestia, Château David ...

Les écoles gardienne et communale ferment leurs portes dès après Pâques. Un poste de secours est installé à l'école gardienne et l'on construit des abris un peu partout.

Les activités scoutes se poursuivent tant bien que mal, et les allusions au lent délabrement de la situation générale se font plus nombreuses dans le Tally de l'équipe training.

"... après quelques jeux, nous reprenons le chemin du retour. De fortes escadrilles anglaises sillonnent le ciel ..."

"On voit des escadrilles qui bombardent Jemeppe. Le retour en tram (depuis Onoz) s'effectue normalement et quand nous débarquons, nous apprenons que le premier bombardement de Ronet vient d'avoir lieu."

Plus le temps passe et plus les choses se compliquent. J. Piette nous l'explique une fois de plus avec son sens étonnant du raccourci :

"Nous étions bien lancés, mais une fois de plus, les bombardements nous empêchèrent de continuer notre oeuvre. Les bombardements de Ronet se répétèrent souvent et les événements se gâtèrent. Le district interdit toute grande sorties le local fut endommagé et nous dûmes tenir nos réunions au château des 4 Seigneurs. Là, à l'entrée de l'allée, nous élevâmes une potale à N.D. de la Paix.

"Notre activité pendant ces mois se résuma en ceci. Les petits élèves n'avaient plus cours vu que les classes étaient fermées : alors des cours s'organisèrent sous la conduite d'Elan, de Sanglier, de Chevreuil, de Coucou, de Griffon et de Teddy.

"Puis plus tard on organisa de vastes jeux, auxquels tous les Jeunes gamins furent invités et à la fin desquels l'aumônier leur parlait.

"Puis les bombarderont cessèrent et l'invasion commença, ce qui ne valait pas mieux. Vers le commencement d'août, nous revînmes au local ancien."

6. La libération

"Le début du mois de septembre voit arriver la libération. C'est enfin après 4 ans de terreur : la liberté. Vie et gloire à nos vaillants libérateurs.

Nous pouvons maintenant sans aucune peur sortir en uniforme et à cet effet les réunions et les WE deviennent plus nombreux." (Tally)

7. Epilogue

Réveillon de Noël 1944.

"Cette année ce n'est pas à l'égal des autres années un réveillon de réjouissance mais plutôt une méditation religieuse. Une causerie vient nous aider à nous remémorer les célèbres événements.

"On commence par des chants et on apprécie à leur juste valeur les cougnous traditionnels.

"Puis viennent les projections d'actualités et puis la causerie religieuse.

"Nous assistons et nous communions avec joie à la messe de minuit, messe dont nous avions été privés pendant 4 ans". (Tally)

Le Comité des Oeuvres paroissiales de Flawinne met à notre disposition trois petits baraquements en planches, deux tables, deux poêles, et trois bancs.

Comme matériel de camp, ce même Comité nous prêtait avant guerre trois tentes très usagées, et un matériel complet de cuisine. Ces tentes et ce matériel de cuisine ont été pliilés en mai 1940 dans les locaux occupés en partie par l'Armée belge (dépôt d'essence).

Il reste à présent deux seaux, quelques casseroles et une cruche.

Tout ce qui était convenable a été enlevé; les démarches n'ont pas été faites par suite de la désorganisation de la Troupe dont le chef a été 8 mois en captivité.

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Remarques concernant le salut au drapeau

Rassemblement

Qui hisse le drapeau ?

Rôle établi par le conseil des CP d'après les mérites des scouts. Ce scout aura soin de préparer le drapeau avant la cérémonie.

Cérémonial

Chef : Scout toujours …

Scouts : …prêts

Le scout chargé d'envoyer les couleurs quitte sa place et se rend au pied du mât.

Il se découvre et monte le drapeau

Le Chef : au moment où les couleurs montent : Au pays …

Scouts : Au Roi

Tous saluent, au chapeau; les CP aux staffs

Chef : Fixe

Brabançonne ou autre chant de circonstance

Baisser des couleurs

A l'heure convenable, on donne le signal qui peut être entendu dans tout le camp

En uniforme correct, un scout accompagné de 2 gardes de corps se rend au mât, salue (seul)

Le scout approche du mât, se découvre, descend le drapeau

Tous saluent

Le drapeau descendu, chacun reprend ses occupations.

Le scout qui l'a descendu, le plie et le remet en place (tente CT)

Extrait d'un calendrier scout Extrait d'un calendrier scout

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Le château de Flawinne, là où en décembre 42, l'unité scoute de Flawinne assista à une messe de minuit clandestine

Le bombardement de la gare de Ronet au printemps 1944.

Résultats du bombardement de Ronet

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La guerre 1914 - 1918 à Rumes (*)

(*) Rumes est situé au sud-ouest de Tournai, sur la route Tournai-Douai, à quelques kilomètres de la frontière française.

Introduction

Franz Lagneau a quatre ans quand débute la première guerre mondiale.

Son père est sous-brigadier des douanes. Avec sa famille, il occupe une partie de la gare de chemin de fer de Rumes, l'autre partie étant réservée au chef de gare.

C'est là que ce petit garçon va vivre les affres d'une longue guerre.

Rentré à l'école en 1919, l'instituteur demandera à ses élèves de mettre leurs souvenirs par écrit.

C'est la relation faite à l'époque par le jeune Franz que nous soumettons à l'appréciation de nos lecteurs.

A. Gany

Devoir de vacances fait en 1919 par Franz Lagneau

La guerre - arrivée des Allemands à Rumes

Sur la fin de juillet 1914 tout le monde disait que la guerre allait éclater entre l'Allemagne et la France. On avait peur car les Allemands allaient envahir la Belgique pour attaquer les Français. On réquisitionna les chevaux pour l'armée belge. On rappela plusieurs classes de soldats. Les soldats du 3ème Chasseur à Cheval de Tournai vinrent à Rumes et aux environs garder la frontière. La guerre éclata dans les premiers jours du mois d'août. Malgré le courage héroïque de nos soldats, les Allemands envahirent la Belgique en commettant partout des atrocités. On était tous effrayés à Rumes.

Le 22 août on racontait qu'on avait déjà vu des Hulans à Tournai. La garde civique avait été désarmée et on avait porté toutes les armes du village à la maison communale; le même jour, il était passé des soldats français se dirigeant vers Tournai. Le 23 août, ils revinrent vers le soir se réinstaller à Rumes. On devinait que la situation était grave. En effet, le lendemain 24 vers midi, on entendait le canon qui grondait à Tournai. Les Français étaient battus et se repliaient vers la France. Vers 2 heures, les derniers Français partaient à peine de Rumes que des Hulans arrivaient; le village était sans bruit, comme mort; tout le monde se cachait.

Les Allemands frappèrent aux portes le long de la grand-route et ils demandèrent s'il n'y avait plus de Français et firent servir à boire pour leurs chevaux. Ils ne firent pas trop de dégâts au village. Ils incendièrent une grange et détruisirent une partie de la gare. Les jours suivants, les Allemands continuèrent à passer à la grand-route. Il en passa ainsi des milliers avec canons, cuisines, chariots. Peu à peu on s'habitua à les voir.

Tout à-coup vers le 15 septembre, on ne voyait plus d'Allemands depuis quelques jours et voilà que l'on signale des Français qui arrivaient de France avec des goumiers et se dirigeaient vers Tournai. Ces soldats étrangers étaient bien vêtus. La plupart de ces derniers avaient de grands manteaux gris clairs. Beaucoup de ces goumiers criaient "vive la Belgique!" Ils avaient de beaux petits chevaux qui couraient très vite. Beaucoup de gens crurent que la guerre était finie.

Quelques jours après il passa encore des Allemands. Alors nous ne crûmes plus que la guerre allait finir. Ils firent tuer tous les pigeons à Rumes et aux environs. Nous eûmes le ravitaillement et le comité de secours. Les Allemands réquisitionnèrent les chevaux, les vaches, etc.

Pendant la guerre

Nous dûmes loger des soldats allemands en repos. Les Allemands firent remarcher les trains mais rien que pour eux. Il passa des trains très longs chargés de bois, matériels de fer, munitions servant aux tranchées. Nous entendîmes le canon toute la guerre gronder à Ypres, à Lens, etc. Il passait très souvent des Allemands sur les trains qui revenaient du front. Il passa quelques trains de prisonniers russes et plusieurs trains de Croix-Rouge allemands.

Les Allemands prirent les civils pour aller travailler à Jolimet et dans des autres contrées. Alors le village fut en fièvre. Les civils convoqués préparèrent leurs bagages pour partir. Quand ils sont partis tout le monde pleura. Beaucoup de ces hommes ne revinrent plus. Les uns moururent de froid, de faim et beaucoup d'autres causes. Les Allemands réquisitionnèrent encore les animaux domestiques. Nous n'eûmes pas beaucoup de ravitaillement. On eut les policemans et les gendarmes. Ces policemans et ces gendarmes allaient perquisitionner dans les maisons pour prendre une quantité de choses prohibées. Alors nous eûmes faim; nous ne pûmes rien cacher. On devait livrer toutes les récoltes aux Allemands.

Des escadrilles d'aéroplanes alliés venaient tous les jours jeter des bombes.

Il en est tombé une sur la maison de Monsieur Deffontaine Remy au Rouvroir; elle a été anéantie. Plus tard une autre bombe est tombée sur la grange de Cailleau Amédée qui fut détruite et quatorze autres bombes sont tombées, douze dans les pâtures le long de la grand-route, une autre sur la grand-route même et encore une autre près du chemin de fer. Ces trous étaient immenses. Nous ne dormîmes plus une nuit tranquille. Nous étions toujours sur le qui-vive.

Les alliés envoyaient des petits ballons; à ces ballons étaient attachée une quantité de petits papiers. Sur ces papiers on avait imprimé toutes sortes de choses pour démoraliser les Allemands. Tous les jours au soir, on voyait les phares des champs d'aviation allemands qui éclairaient le ciel.

Entre-temps on n'allait presque pas en classe; une fois parce que la Croix-Rouge était installée dans la classe; une autre fois, il n'y avait pas de charbon pour faire du feu; ensuite, on devait aller chercher des feuilles dans les bois pour les Allemands ou encore leur chercher des orties, deux kilos par personne. On fit aussi déménager notre maître d'école pour occuper sa maison. C'était toujours de plus en plus mal, on était très malheureux. Le temps perdu pour l'étude nous a fait beaucoup de tort. Les hommes allaient au contrôle le dimanche pour la commune et tous les mois pour les Allemands.

Vers le mois de septembre 1918, on entendait le canon gronder très fort.

On disait que Douai était repris. Alors il passa à la grand-route des civils avec des chariots et des voiturettes sur lesquelles ils avaient déposé leurs bagages. Il passait aussi des batteries, des chariots allemands avec des boeufs attelés par les cornes, des automobiles, des machines pour écraser le gravier, des vaches, etc. Il passait aussi des femmes, des enfants et des hommes qui évacuaient. Parmi eux ils passaient des hommes en buse qui disaient que c'était la fin de la guerre. Les Allemands prirent une dernière fois le reste des civils ainsi que les vaches, les chevaux, les porcs, etc.

Beaucoup allèrent près de Bruxelles d'étape en étape. Les fermiers durent conduire des marchandises près de Bruxelles et plus loin. Il repassait sur les trains de soldats des petites machines et beaucoup d'autres matériels servant aux tranchées. Les Allemands amenèrent des mines sur un train et ils en déposaient une tous les 5 ou 6 mètres le long de la ligne du chemin de fer.

Quelques jours après, un vendredi, les Allemands arrivèrent pour détruire la gare. Ils firent sauter les voies. Ensuite ils arrivèrent à ma maison.

J'étais encore là avec mon père sauvant vite encore quelques objets. Premièrement ils ont enfoncé les portes du quai; un autre soldat arriva par la rue de la gare avec une mine dans ses bras. Aussitôt il ouvrit la porte et alors il vit mon père et moi. Il nous dit de partir et nous dit de vite lui ouvrir la porte de la cave. Mon père dut la lui ouvrir et demanda dix minutes à l'officier pour aller jusqu'au grenier chercher un objet. L'officier lui accorda. Alors mon père et moi nous dûmes partir de la maison et nous allâmes nous mettre derrière le mur de la maison de Mademoiselle Christine Maton près de chez Demoulin. Monsieur le Bourgmestre, mon père et moi, nous regardâmes détruire ma maison et celle du chef de gare. Je n'oublierai jamais ce que je vis. Je vis alors la maison se lézarder et tomber peu à peu comme un château de cartes. Les Allemands durent miner 8 fois ce bâtiment pour le détruire. Le lendemain tout le monde alla voir les ruines.

Alors on disait déjà que les Anglais étaient à Bachy. Alors on se retira dans les caves en attendant l'arrivée des Anglais. Tout le monde était inquiet de savoir ce qui se passait. Pendant la nuit du samedi au dimanche, ma famille et moi nous nous étions réfugiés chez Madame Martinage, rue du Rouvroir.

Pendant la nuit on entendait marcher dans la cour. On entendait aussi des mitrailleuses de toutes parts répondre l'une à l'autre. C'était déjà les avant-gardes anglaises qui arrivaient. Le matin, on dit qu'il passait des Anglais à la grand-route. Aussitôt on alla voir. En effet, voilà un peloton qui s'amène vers le rouvroir et s'arrête près de chez Martinage. Beaucoup de gens allaient porter toutes sortes de choses aux Anglais, des fleurs, des vivres, etc. Nous avons eu des évacués de quatre ou cinq communes. Il passait beaucoup d'Anglais à la grand-route.

Puis nous eûmes alors la bataille de l'Escaut, le bombardement qui dura pendant trois semaines. Nous n'eûmes plus de ravitaillement. Nous eûmes aux anglais des biscuits, des boîtes de viande conservée, etc. Il tomba des obus sur la maison de Dervannain Joseph; sa femme fut tuée, sa maison abîmée. Il en tomba encore un autre sur la maison de Carton au Rouvroir; sa femme fut tuée ainsi que deux Anglaisr et une petite fille née depuis quelques heures.

Après ces trois semaines de bombardement, nous eûmes l'Armistice qui fut signée le 11 novembre, un lundi. Alors les civils revinrent. Nous fûmes très joyeux que la guerre était finie et que nous n'étions pas Allemands. Nous eûmes encore le ravitaillement mais l'on débitait beaucoup plus de marchandises qu'avant le bombardement. Des soldats belges revinrent en congé. Il y avait des aéroplanes anglais qui volaient. Nous eûmes des soldats anglais en logement.

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La couverture du cahier où F. Lagneau a écrit son devoir. Nous en utilisions encore de semblables en 1940

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Dernière mise à jour: 16 décembre 2011