La notion de coût/efficacité appliquée aux forteresses préhistoriques
Dans quelle mesure les forteresses préhistoriques ont-elles joué le rôle que l'on en attendait ? Pour le savoir, nous allons cerner d'abord le travail requis pour les construire; nous jugerons ensuite de leur efficacité.
a. Cernons d'abord la notion de travail
- Pour l'époque en question, entrent surtout en ligne de compte les efforts qu'il a fallu déployer pour construire ces fortifications et les maintenir en état, et NON la valeur intrinsèque des matériaux mis en oeuvre.
- Quelques exemples nous aiderons à mieux comprendre ce que représente la construction des fortifications antiques pour les populations de ce temps.
- A MYARD près de Vitteaux en Côte-d'Or (France) une avancée naturelle a été aménagée pour servir d'habitat vers 3000 Av. J.C. Un rempart de 180 m de long barre l'éperon du côté le plus accessible. Ce rempart de 4 m de haut et de 2,5 m de large était constitué de pierres brutes extraites à l'avant même de la muraille. Quel effort ce travail d'extraction de 1800 m3 de roche n'a-t-il pas représenté pour des hommes équipés d'outils aussi rudimentaires que des pics en bois de cerf ?
- La forteresse de MANCHING en Haute-Bavière, d'une superficie de 380 Ha est entourée d'une ligne fossé/talus de 7 Km de longueur. Les fossés de l'époque ont couramment 3 m de largeur au fond pour une profondeur de 3 m., ce qui, avec une pente de talus 1/1 (45°) nous donne une largeur au niveau du sol de 9 m. Le volume de terre en place à creuser et à déplacer pour former le talus s'élève donc à [(9+3)/2)x3=18 m²] x 7.000 m = 126.000 m³
Le rendement d'un homme équipé d'outils modernes (bêche, pelle, pioche) est de 1 m/Hr. Si nous estimons le rendement de l'homme préhistorique au 1/4 de ce chiffre compte tenu de l'inexistence d'outils adéquats et du temps perdu au transport latéral et à l'édification du talus, nous arrivons en ce qui concerne le temps de travail nécessaire à un total de 126.000 x 4 = 500.000 homme/heure soit pour prendre des chiffres plus frappants, le travail de 500 hommes travaillant pendant 1.000 heures !
Ceci n'est pas une tâche insurmontable dans la mesure où la main d'Suvre ne manque pas et ne coûte rien. De plus ces forteresses sont faites pour durer... et elles durent.
Une fois construites, ces fortifications doivent encore être maintenues constamment en état. Le bois des remparts armés et des palissades pourrit après quelques années; la pluie et le bétail érodent les talus de terre. Il faut remédier à cet état de fait et si possible même prévenir les détériorations. Ce critère de résistance vis-à-vis des conditions atmosphériques défavorables influence donc le choix du type de fortifications (talus ou rempart à parement vertical) et aussi le choix des matériaux (pierre de préférence).
L'herbe maintenue en vie sur les pentes des talus favorise le développement de fortification par talus en terre dans les régions à climat humide et tempéré; le triple talus de Maiden Castle est intact depuis deux millénaires.
D'autres éléments que le volume de matériaux à mettre en oeuvre ou la difficulté même d'extraire et de manipuler ces matériaux peuvent intervenir dans la mesure de la charge de travail que représente l'exécution; Ce sont ceux liés au choix même du type à adopter.
Il s'agit, par exemple des problèmes d'implantation (tracé et place nécessaire à l'emprise, problèmes d'organisation de chantier et de travail en équipe, problèmes de haute direction et surveillance des travaux, problèmes d'entrettien ultérieur...
- Terminons par une comparaison rapide entre les deux grandes familles de fortification.
Le talus de terre ou de pierre peut être édifié rapidement avec un personnel peu spécialisé : la construction peut progresser sur plusieurs points à la fois, sans poser des problèmes de jonction difficiles à résoudre quand l'architecture est plus complexe. Il résiste bien au feu, qui ne peut mettre en péril que la porte, et au bélier, puisque César ne parvient pas, avec ses machines, à entamer le rempart du Noviodunum des Suessions. L'érosion naturelle ne l'entame pas si la pente est bien calculée et le matériau judicieusement choisi. Mais il présente l'inconvénient d'avoir une très grande emprise au sol quand sa hauteur augmente, alors que c'est précisément celle-ci qui garantit son invulnérabilité.
En revanche, si la fortification présente à l'assaillant une paroi verticale qui dépasse seulement quatre mètres, le franchissement de l'obstacle exige l'emploi de cordes ou d'échelles. On préfère généralement provoquer l'écroulement du mur de pierres sèches à l'aide d'un bélier, ou mettre le feu quand le rempart est en bois. Pour parer ces deux éventualités, les hommes ont cherché à combiner le bois, la pierre et la terre. L'originalité de l'architecture protohistorique s'exprime pleinement dans ces fortifications à armature de bois qui caractérisent l'Europe tempérée durant toute la protohistoire.
b. Venons-en a la notion "d'efficacité", de valeur de ces fortifications face à la menace représentée par les assaillants de l'époque.
Considérations générales
La force d'impact d'un corps de troupe en rang serré, comme c'était le cas pour l'infanterie de l'époque, c'est son énergie cinétique.
Comme la formule E = MV² l'indique, cette énergie cinétique est fonction de la masse (nombre de combattants, cohésion et densité du groupe) et de la vitesse à laquelle les combattants progressent.
Pour diminuer la force d'impact d'une armée à l'assaut il faut donc agir par les deux facteurs "cohésion" et "vitesse".
Pour rompre la cohésion du groupe et sa vitesse de propagation, on peut tout d'abord agir par le tir c.à.d. à l'époque par l'intervention le plus loin possible d'armes de jet (javelots) de pierres lancées par catapulte ou fronde.... ou de flèches.
Ensuite par la création d'obstacles verticaux (fossés, talus, fortes pentes, palissades, murs verticaux...) horizontaux (chicanes), ou par des chausse-trappes.
Enfin par l'intervention de défenseurs nombreux, résolus et bien armés pour le combat Corps à Corps.
Il faut noter par ailleurs que les obstacles dressés contre l'infanterie conviennent aussi contre la cavalerie ! C'est particulièrement le cas des fossés (souvenez-vous du chemin creux d'Ohain où si l'on en croit V. Hugo, la cavalerie française s'est embourbée au soir de Waterloo !).
En doublant ou en triplant les obstacles on augmente évidemment le pouvoir d'arrêt de la fortification. Il n'est pas inutile cependant de rappeler qu'un obstacle n'a de valeur que dans la mesure ou des défenseurs décidés l'occupent. C'est ici qu'interviennent d'autres éléments liés intrinsèquement à la fortification. Et tout d'abord l'emplacement des obstacles. Ils doivent pouvoir être battu par les projectiles amis. C'est bien le cas des remparts et talus préhistoriques.
La forme du contour ensuite. Ce contour sera circulaire de préférence car c'est la forme qui donne une surface intérieure maximum pour un périmètre minimum. Cette forme permet, le mieux de centrer les réserves et de les actionner rapidement vers les zones menacées.
Encore faut-il que ces réserves et autres oeuvres vives de la forteresse soient, elles, hors de portée et protégées des tirs et des vues. C'est le 3e rôle du rempart.
Ce rempart définit enfin la ligne de résistance principale, celle qu'il faut défendre à tout prix sous peine de perdre la place. Ainsi donc à l'aube de la fortification apparaissent déjà les composantes essentielles et "éternelles" de tout ouvrage défensif. Le rempart de terre oublié au Moyen-Age réapparaîtra à l'avènement du canon, le mur vertical vivra jusqu'à la 2e guerre mondiale et le fossé antichar est toujours d'actualité.
c. Comportement des fortifications dans la bataille Application à deux cas historiques
(1) La défaite de César devant GERGOVIE
L'investissement - Au printemps de 52 avant J.C., César marche sur l'Auvergne, avec six légions (environ 20.000 hommes).
Vercingétorix s'est réfugié à Gergovie, dont la position est défendue par un rempart en pierres sèches haut de 6 m et, à mi-pente, par un mur moins élevé. Du haut de ce plateau de basalte, parfaitement isolé, il domine les Romains établis au Sud-Est vers Orcet. Toutefois, César peut s'emparer de la colline de la Roche-Blanche, où il établit un petit camp qu'il relie au premier par deux tranchées parallèles.
L'attaque - César feint une attaque dirigée à la faveur de la nuit vers le col des Goules. Les Gaulois se portent en masse vers ce point faible pour en compléter les défenses; mais, dès le lendemain, le gros des troupes romaines se lance à l'assaut par le Sud, depuis le petit camp de la Roche Blanche. La première enceinte est franchie et les soldats de César montent à l'assaut du second rempart. A leur vue, les femmes poussent des cris de terreur et jettent de l'argent et des étoffes aux assaillants pour les arrêter.
Retour des Gaulois - Attirés par les cris et détrompés de leur erreur, les Gaulois reviennent en hâte au vrai lieu de la bataille.
Fatigués par l'effort fourni au cours de leur montée rapide, les Romains se désunissent et bientôt se débandent. Pour leur malheur, ils prennent les Eduens, leurs alliés, qui viennent à leur secours, pour une aide gauloise et se retirent en désordre. 46 centurions et 700 légionnaires ont trouvé la mort sous les remparts de Gergovie.
Sagement, Vercingétorix arrête ses troupes dans la plaine et César lève le siège quelques jours plus tard.
(2) La prise d'ALESIA
ALESIA était la place forte la plus connue de la Gaule. Capitale des Maudubiens, cette ville avait une grande importance religieuse.
Sa prise par J. César en 52 Av. J.C. décida de l'issue de la Guerre des Gaules.
Après la défaite de sa cavalerie à Dijon, Vercingétorix vint s'enfermer dans l'oppidum d'Alésia. Il garda avec lui 80.000 hommes d'élite et se munit de vivres pour 30 jours mais renvoya sa cavalerie devenue inutile, chargeant ses chefs d'organiser une levée en masse parmi tous les peuples de la Gaule. César se souvenant de Gergovie renonce à prendre la place d'assaut. Il entreprend de construire une double ligne de fortification autour de la position, l'une (la contrevallation) d'un périmètre de 15 Km contre les assiégés, l'autre (la circonvallation) de 20 Km contre les secours gaulois attendus du dehors. Ces deux lignes laissent entre elles un espace de manSuvre d'environ 400 m de profondeur. Ces travaux qui furent sans doute le chef-d'Suvre de l'art du siège dans l'antiquité occupèrent nuit et jour 10 légions et furent achevés en l'espace de 5 semaines.
Quand l'armée de secours apparut devant Alésia, les assiégés avaient déjà épuisé leurs vivres. Cette armée mal organisée fut mise en déroute après trois essais infructueux contre les défenses romaines. Poursuivie par les cavaliers romains, elle se dispersa vers l'intérieur de la Gaule. Définitivement abandonné, Vercingétorix dut se rendre.
(3) En guise de conclusion.....
L'étude attentive de ces deux batailles permet de conclure que les fortifications ont bien tenu le rôle que l'on attendait d'elles, permettant dans le cas de GERGOVIE le freinage de l'offensive des Romains jusqu'à ce que les Gaulois réagissent, et, dans le cas d'ALESiA dissuadant Jules César d'entreprendre un assaut direct voué à l'échec. Et si César remporte la victoire finale, il le doit encore pour une grande part à l'emploi judicieux de dispositifs fortificatifs élaborés.
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