Tome V - Fascicule 7 - juillet-septembre 1993


La forteresse "Île Monsin" (3)

Émile COENEN


La mobilisation et la campagne


En résumé, l'île Monsin comprend 12 abris répartis dans toute l'île, le long des berges du canal Albert et de la Meuse. Cinq de ces abris, sont aménagés dans les culées des ponts, deux dans le mémorial et cinq sont du type "fort" et édifiés sur les berges. Au total, cela représente pas moins de 29 embrasures pour Mi et 4 embrasures pour FM. On peut dire que tous les moyens ont été mis en oeuvre pour assurer une bonne défense de l'île, ce qui me permet de l'appeler : "la forteresse de Monsin".

Je vous livre ci-dessous l'ensemble des plans de feux et, comme vous pourrez le constater, il existe très peu d'angles morts et, en bon nombre d'endroits, le terrain est battu par deux ou trois Mi.




Pendant la mobilisation, les hommes de troupe vont, en plus, creuser tout un réseau de tranchées, des épaulements pour Mi et pour canons.

C'est le 12e régiment de ligne qui, du 13 février au 27 avril 1940, occupe une partie de l'île avec son 2e bataillon.

Le 10 mai 1940, l'ensemble du 12e de ligne occupe l'intervalle Fléron-Évegnée (FE) de la PFL 2. Vu les événements, ce régiment reçoit l'ordre, peu après minuit, de se replier sur la rive gauche de la Meuse. Le régiment se déploie vers 4 heures du matin entre le pont de Coronmeuse inclus et le pont de Wandre exclu.

L'EM ainsi que la 13e compagnie s'installent au château de Bouxthay. Le 1er Bon aménage son PC au château de Bernalmont et déploie la 4e compagnie au pont de Coronmeuse afin d'assurer la liaison avec le 25e de ligne. La 1ère et la 2e compagnies s'étirent le long des berges du canal entre le pont de Coronmeuse et le pont Marexhe.

Le 3e Bon, quant à lui, installe son PC à l'usine de la FN. Sa 9e compagnie, ainsi qu'un peloton de la 11e, défendent les berges du canal entre le pont Marexhe et le pont de Milsaucy. Le reste de la 11e compagnie se rend sur l'île proprement dite. La 10e compagnie prend possession du secteur compris entre le pont de Milsaucy et le pont de Wandre, qui lui, est occupé par des hommes du 1er de ligne.




Ce dispositif est maintenu toute la journée du 11 mai sans incident et pour cause, les Allemands sont loin de ce secteur. En fin de matinée du 11 mai, l'ordre est donné de faire sauter les ponts. En prévision de cette destruction, la 11e compagnie repasse sur la rive gauche. Les ponts sautent effectivement entre 12h00 et 12h50 et l'ensemble de ces destructions est réussi.

Vers 18h30, le 12e de ligne abandonne ses positions, vu la progression ennemie. À partir de ce moment, l'île Monsin est complètement désertée.

J'ai compulsé toutes les archives disponibles au CDH concernant le 12e, le 25e et le 1er régiments de ligne et à aucun moment je n'ai pu lire une seule phrase concernant l'occupation d'un des abris. Les ont-ils seulement occupés ? En tout cas, ils n'ont servi à rien et toutes les embrasures sont restées muettes.


Hier et aujourd'hui


Après la guerre, le Ministre des Travaux publics alloue un crédit de 30 millions de francs, prélevés sur les fonds du plan Marshall, afin de terminer les travaux d'aménagement du port de Monsin.

Ce crédit permet de racheter le réseau ferroviaire installé par l'armée américaine sur l'île, de finir la route principale du port et de reconstruire certains ponts, détruits le 11 mai 1940 ou lors de la retraite des Allemands. Cette somme permet également la création d'un système d'égouts, d'un réseau d'eau potable, d'un réseau électrique et de relier l'île à l'éclairage public.

Bref, en 1949, une bonne partie de ces travaux est en cours et une partie des berges de la Meuse va être surélevée. C'est à ce moment que disparaissent les abris MeMo 3 bis et MeMo 4. Il est possible que MeMo 4 ait été simplement recouvert de terre. Quant à l'abri M 26, vu sa situation, il sera démoli très tôt.

Je vous ai déjà expliqué que, durant les années 1950 à 1960, l'armée belge envisageait le réemploi de certains abris. Elle en a fait plusieurs fois l'inventaire et, afin de les conserver en bon état, elle avait fait murer toutes leurs ouvertures.

Encore de nos jours, nombreux sont les abris dans lesquels il est impossible de pénétrer, à part ceux que les enfants débouchent parfois, la curiosité étant la plus forte.

Dans les archives que le CLHAM possède, j'ai trouvé un de ces inventaires, réalisé en 1962. Les reconnaissances ont été effectuées les 18, 19 et 20 avril 1962 et je vous livre, ci-dessous, les résultats concernant le secteur de Monsin.

N° d'abri

Nature

Situation

État actuel

MeMo 1

Béton armé

Rive gauche monument

Extérieurement en bon état - fermé (porte en fer)

MeMo 1 bis

Pierres

Rive gauche monument

Ouvert - assez bien endommagé

MeMo 2

Béton armé

1ère pile du pont-barrage à 2 étages

Étage supérieur en très bon état - dans l'étage inférieur, il y a de l'eau et de la boue

MeMo 3

Béton armé

Rive gauche

Bon état - ouvert - à moitié rempli de décombres

MeMo 5

Béton armé

Pointe de l'île

Bon état - des décombres dans le fond du puits d'entrée - la taque en fer est dans le fond du puits

MeA 1

Béton armé

Pile du pont Marexhe

Bon état - fermé

MeA 1 bis

Béton armé

Rive gauche

Bon état - fermé

MeA 2

Béton armé

Pile du pont Milsaucy

Bon état - fermé

MeA 3 MeMo 6

Béton armé

Pile du pont de Wandre

Bon état - fermé


D'après les résultats de cette reconnaissance, on constate que les abris sont déjà murés et que celui qui a parcouru la région n'a aucune connaissance des abris. À l'abri MeMo 1, il prend la porte en fer pour l'entrée de l'abri alors qu'elle mène au phare du monument. Au pont-barrage, il n'a constaté l'état que de l'abri aval et, à MeMo 5, il prend le débouché de l'issue de secours pour l'entrée même de l'abri. Effectivement, 25 ans plus tard, la dalle "Elkington" se trouvait toujours au fond du puits.

Les années passent sans grand changement pour notre île puis vient la décision de porter le canal Albert au gabarit de 9000 tonnes. Vu l'élargissement rendu nécessaire, un nombre important d'abris, construits le long du canal, vont disparaître.

En 1985, on commence les premiers travaux dans le secteur de Monsin et c'est l'abri MeA 1 bis qui est démoli, sans que j'aie eu la possibilité de le visiter.

En 1991, un nouveau pont est construit à côté de celui de Marexhe et il est certain que l'ancien va bientôt disparaître. Vu l'entrée particulière de l'abri MeA 1(par l'égout), je ne disposais que de l'issue de secours pour y pénétrer, mais celle-ci était solidement murée. Passant tous les jours devant ce pont puisque celui-ci se trouve sur mon chemin de travail, je surveillais attentivement le moment où cette issue de secours serait dégagée, car, généralement, on débarrasse l'abri de sa ferraille avant de le démolir. Enfin vint le jour tant attendu, mais, malheureusement, le travail est prioritaire malgré tout et ce n'est qu'en fin de journée que j'ai pu me rendre sur les lieux pour constater que de MeA 1 il ne restait que quelques blocs de béton épars.

Puis vint le tour de Milsaucy, mais là, grâce à la collaboration de Messieurs Hendricks, Coune et Tirtiat, tous trois membres de l'asbl "Fort de Battice", nous avons pu visiter les deux abris en procédant à la destruction des murets obturant les entrées. Aujourd'hui, ce pont a entièrement disparu ; il ne reste plus que la culée de la rive droite sur laquelle on peut voir l'emplacement des trois fourneaux de mines.

C'est au même moment que l'abri MeMo 5 a disparu sous tes coups des marteaux-piqueurs. Là aussi, je suis arrivé trop tard.

Par contre, j'ai profité de l'initiative prise par Messieurs Loxhay et Michaux, tous deux membres de l'asbl "La Chartreuse", qui ont entrepris le dégagement de l'issue de secours de l'abri MeA 3 au pont de Wandre. Bien que le pont ait aujourd'hui disparu, vous pouvez encore bénéficier de ce travail car, seule, cette culée existe encore.

Quant à l'abri MeMo 6, c'est grâce à ma taille étroite que j'ai réussi à y pénétrer. En passant par l'ouverture de l'embrasure amont de l'abri, chose malgré tout à déconseiller, j'ai pu constater le bon état dans lequel se trouvait l'abri dont j'ai récupéré une partie de l'affût "Chardome".

Il y a peu de temps, il était encore possible d'entrer dans l'abri MeMo 3 et de voir la muselière fixée au débouché du lance-grenades de la façade ainsi que l'imposante grille qui fermait l'escalier d'accès de l'abri. Mais récemment, on a débarrassé complètement l'abri de sa ferraille et on a rebouché son accès avec des mètres cubes de terre. La muselière a été tronçonnée au ras de la façade.

Lors d'une petite promenade dominicale, rendez-vous au mémorial du roi Albert. Là-bas, vous pourrez encore voir l'abri MeMo 1 bis et l'entrée de l'abri MeMo 1. mais il est impossible d'y pénétrer car toutes les entrées sont soudées et, de toutes façons, renseignements pris, ils sont tous les deux complètement noyés.

Pour visiter l'abri du pont-barrage, vous avez tout intérêt à obtenir un tas d'autorisations pour ne pas vous faire refouler.

Voilà, nous avons fait le tour de l'île et je vous livre un petit résumé de ce que vous pouvez encore voir aujourd'hui.


Meuse

Canal Albert

MeMo 1 et 1 bis

visibles

MeA 1

démoli (1991)

MeMo 2

visible (autorisation)

MeA 1 bis

démoli (1985)

MeMo 3

visible (ferraille)

MeA 2

démoli (1992)

MeMo 3 bis

démoli

MeA 3

visible (visitable, danger)

MeMo 4

démoli

M 26

démoli

MeMo 5

démoli (1992)



MeMo 6

démoli (1992)



MeMo7

jamais construit





Remerciements

C'est en 1980 que j'ai parcouru, pour la première fois, les 80 hectares que représente l'île Monsin et je me doutais bien peu que cette superficie, j'allais l'arpenter des dizaines de fois. Surtout qu'aujourd'hui cet endroit n'est pas particulièrement fréquentable. Ce n'est plus la contrée attrayante que l'on a décrite jadis, mais bien une zone industrielle, avec ses passages fréquents de camions et de trains, forts bruyants, et avec ses odeurs nauséabondes.

C'est aussi devenu un lieu de rencontre pour des personnes marginales comme des drogués, des homosexuels et des voyeurs qui, lorsque vous vous promenez seul, vous proposent toutes sortes de choses que je tairai, soyez-en sûrs.

Malgré tout, la passion est la plus forte et, pendant près de 11 années, malgré les importuns, j'ai parcouru cette île dans tous les sens.

Pour que vous puissiez lire ces quelques lignes, j'ai aussi bénéficié de l'aide de nombreuses personnes et je profite de l'occasion pour remercier tous ceux qui ont rendu possible la réalisation de cet article.

Tout d'abord, je tiens à remercier l'hôtesse d'accueil de l'exposition commémorant le 50e anniversaire du canal Albert, organisée sur la barge Antherpia. Cette personne, dont j'ai malheureusement perdu les coordonnées, m'a particulièrement bien introduit auprès des services de la Meuse liégeoise et a consacré un temps appréciable à me guider à travers cette exposition.

Un grand merci à Monsieur Roenen, Ingénieur en chef et Directeur des Ponts et Chaussées, à Monsieur Bordet, Directeur général de l'Office de la Navigation et à Monsieur Libotte, Ingénieur en chef de ce même organisme.

C'est grâce à Monsieur Remy, garde de section, et ensuite à Monsieur Kluten, que j'ai pu visiter l'abri du pont-barrage et je remercie Monsieur Dedoyard, qui a tout fait pour que je puisse visiter les abris du monument du Roi Albert.

Merci aussi à Messieurs Hendricks, Coune, Tirtiat, Loxhay et Michaux, sans qui je n'aurais pu visiter les abris des ponts de Milsaucy et de Wandre.

Je n'oublie pas les membres de l'équipe du Centre de Documentation historique à Evere qui m'aident chaque fois, du mieux qu'ils peuvent, à compulser une grande quantité de documents. Monsieur Houet, qui a toujours la patience de corriger mes épreuves et Monsieur Beaujean, qui réalise le bulletin du CLHAM et qui concrétise les nombreuses années que j'ai passées à réaliser l'article.

Enfin un grand Mea Culpa pour tous ceux que j'ai oubliés sans le vouloir.

Je tiens aussi à rendre hommage aux concepteurs de cette forteresse. Car quand on connaît la somme de travail que cet ensemble a coûté et le peu de cas qu'on en a fait : quelle dérision ! Finalement, il n'y a peut-être qu'une seule personne que cela a vraiment intéressé ; cette personne tire un fameux coup de chapeau aux concepteurs.

Je me permets aussi de rééditer un appel : si vous possédez n'importe quel document concernant les abris, soyez gentils, ne le conservez pas pour vous tout seul. Permettez-moi, au contraire, d'en prendre connaissance et d'en faire une copie. Merci d'avance !


Documents consultés

BARE Pierre, Herstal en cartes postales.

CRAHAY Albert E., Le Roi et la défense du pays.

L'inauguration de la maison du port, le 29 octobre 1949, imprimerie Benard.

DE FABRIBECKERS, La campagne de l'armée belge en 1940.

Publications des Travaux Publics, t. 32, 5e fasc., 1931.

CDH - Dossier QGT :

n° 50 : Fourniture de mobilier pour les abris

n° 55 : Fourniture des affûts "Chardome".

n° 61 : Île Monsin - Construction de 2 abris aux abords du pont-rail.

n° 65 : Construction d'un puits d'accès à l'abri MeA 3.

n° 82 : Éclairage des abris permanents de la PFL 2.

n° 408 : Île Monsin - Défense de l'île.

n° 528 : Notes sur le déclassement des abris.

Cartons GDG : amalgames de notes prises en dépôt.

Historique du 12e Régiment de Ligne (Bibliothèque du CLHAM).


Date de mise à jour : Jeudi 3 Décembre 2015